Le gel des avoirs syriens

Par Me Fabrice Marchisio, Avocat d’affaires, Barreau de Paris.
(Conférence 22 février 2012)

Ces dernières années, certains Etats ont vu leurs avoirs à l’étranger gelés par une décision de l’ONU :Iran, Birmanie, Corée du nord, Zimbabwe, Yougoslavie, et pour les pays arabes, Irak (1993), Soudan (2003), Egypte (2011).Depuis le début 2011, les sanctions (59) contre les personnes ont augmenté ; celles contre la Syrie n’ont pas été votées à cause des vetos russe et chinois à l’ONU. L’Union européenne a alors appliqué des sanctions contre la Syrie selon un calendrier évolutif à partir de mai 2011 ; les premières mesures ont frappé la famille présidentielle, les membres du Gouvernement et les personnes ou compagnies soutenant financièrement le Régime ; les services prodigués aux forces armées et à la police syriennes ont été interdits.
En septembre 2011, sont interdits l’exportation et le transport de pétrole syrien et l’importation de pétrole en Syrie,
En octobre 2011, interdiction de participer à l’exploration de pétrole,
En novembre 2011, interdiction d’utiliser des devises syriennes et d’exporter vers la Syrie du matériel informatique ou du matériel de contrôle de l’informatique,
En décembre 2011, interdiction de raffiner du pétrole syrien et d’exporter vers la Syrie tout matériel destiné aux centrales électriques,
En mars 2012, interdiction d’acheter des diamants en provenance de Syrie et interdit aux cabinets-conseils étrangers de faire des recommandations orales ou écrites à des sociétés syriennes.

Parution d’un roman historique

« Syrie, mon amour. 1860, au cœur d’une guerre oubliée », roman historique de Christine Malgorn, paru chez l’Harmattan (29€).
Ce roman nous transporte dans la Syrie de 1860 quand ce pays et le Liban faisaient partie du vaste Empire ottoman, en particulier à Damas où eurent lieu de sanglants événements  entre chrétiens et musulmans précédés de tout aussi dramatiques événements entre druzes et maronites au Mont-Liban.

L’histoire est-elle condamnée à se répéter ? Une fois encore on s’aperçoit que derrière la défense d’une noble cause, se cachent des enjeux politiques et économiques. C’est ainsi que sur un arrière-fond de rivalité franco-anglaise pour la domination de la région soumise encore à l’autorité vacillante du Sultan ottoman, que ces événements vont provoquer l’intervention d’un corps expéditionnaire de huit mille hommes de l’Empereur Napoléon III, qui débarque à Beyrouth en août 1860. Parmi ces soldats figure Pierre, héros du roman, qui découvre l’orient.

Au-delà de la trame romanesque, la lecture de ce livre nous livre de précieuses indications sur l’origine des conflits qui ont ensanglanté la région à cette époque ainsi que des descriptions détaillées de la vie socio-économique de ses habitants.

Les conséquences du système des capitulations étrangères sont décrites dont l’existence des Consulats à Damas, qui quel que soit le pays représenté, jouaient le rôle d’un état dans l’Etat au détriment de la paix entre les communautés musulmane et chrétienne. Les agents consulaires se transformant en commerçants spécialisés dans la vente des protections lesquelles permettent à leur tour à celui qui en est détenteur, de disposer d’un statut d’extra-territorialité et d’échapper à l’impôt dû au Sultan.

Les textiles des manufactures européennes qui ont commencé à se déverser en 1840 en Syrie ont fait disparaître des milliers d’artisans et de tisserands de Damas et d’Alep. Les métiers à tisser n’ont pu lutter contre l’entrée de ces productions industrielles.

Le livre contient une description des souks de Damas (souk des selliers, artisans, tissus et Caravansérail Assad Pacha) ainsi qu’ une représentation des karakaguez, semblables aux guignols actuels qui jouent un rôle dans la propagation des rumeurs.

L’action des hommes de l’Emir Abdel Kader le 10 juillet 1860 pour assurer le sauvetage des chrétiens lors de ces événements y est rappelée.

Le rôle de Fouad Pacha, Emissaire du Sultan ottoman qui instaure une punition exemplaire en procédant à l’exécution des responsables ottomans du massacre de Damas est soulignée ainsi que ses rapports avec le Général de Beaufort, Chef du corps expéditionnaire.L’origine des événements qui ont opposé les Chrétiens et les Druzes au Liban serait due en partie aux hommes d’église maronite et aux luttes de pouvoir entre cheikhs et religieux druzes et maronites.

L’entrée en scène d’un parent du personnage principal Pierre dans le roman, journaliste anticlérical, qui joue le rôle d’informateur permet d’éclairer le point de vue des druzes dans le le déroulement des luttes avec les maronites. Afin de contrecarrer le soutien apporté par la France aux maronites, les druzes pactisèrent dès lors avec des missionnaires protestants.
Soulignons également , l’épisode du bref passage de Pierre dans la Ville de Zahlé dans la Békaa et sa rencontre avec le père Paolo qui lui apporte un certain apaisement. Cette ville enrichie par le commerce de la soie et où l’on voit y éclore la production de vin y est décrite comme « une République théocratique », la religion catholique était érigée en religion d’Etat, soustraite de ce fait à l’autorité ottomane. Huit mille druzes iront par la suite à l’assaut de Zahlé sous la férule de Khattar Al Imad.
La Culture du mûrier à Deir El Qamar et dans la région du Mont-Liban incitera les industriels de Lyon à créer de multiples de filatures de soie. Le développement de l’industrie de la soie en Syrie devient dès lors un enjeu économique pour la France.

MA

Le mouvement littéraire féminin syrien contemporain par Christian Lochon.

Ancien attaché culturel à l’Ambassade de France en Syrie et membre du Bureau de notre association en charge, depuis
sa création, de son activité culturelle, Christian Lochon a bien voulu réserver à notre «Lettre» la primeure de son étude
sur «le mouvement littéraire féminin syrien contemporain» dont nous publions  ci-joint l’intégralité du texte. /fichiers/pdf/tir-part-lochon.pdf

Les Echanges commerciaux franco-syriens en 2010

Les échanges franco-syriens ont affiché un solde négatif de -73M€ en faveur de la Syrie en raison
de la reprise des achats de pétrole de la France et cela malgré une hausse des exportations françaises.
.
Progression de +13% du volume des échanges :
La Syrie demeure un partenaire commercial modeste de la France. Elle se situait au 82ème rang des clients de la France et n’était que son 69ème fournisseur en 2010.La France ne figure pas non plus aux premiers rangs des fournisseurs de la Syrie qui favorise les achat d’Ukraine, Russie, Chine, ainsi que d’Italie pour ses approvisionnements en Europe.

La France reconquiert cependant des parts de marché, elle serait selon les statistiques syriennes le 12ème pays fournisseur de la Syrie en 2009 (seulement 22ème en 2008) et son 3ème client (6ème précédemment).

Les importations françaises sont pour plus de 90% composées d’hydrocarbures et les exportations portent sur une large gamme de produits agricoles, biens manufacturés, produits intermédiaires et biens industriels.

Hors pétrole, selon les années quelques grands postes modifient la structure des échanges : exportations de blé en 2009, de sucre et d’avions en 2010.

Hausse de 9,4% des exportations à 333M€
Hausse des ventes aéronautiques et de sucre.
A l’exception des produits agricoles (qui sont tombés à 7,3M€ contre 28M€ l’année précédente et le recul des exportations de céréales à 8,8M€ contre 25,8M€ également en 2009) et des produits pétroliers,

Les principaux postes d’exportation qui ont connu une progression sont :

les produits industriels, 144 M€, +20%
parmi lesquels les produits chimiques, parfums et cosmétiques, 43 M€, +14,5%,
les produits pharmaceutiques 38 M€, +6,7%, les métaux et produits métalliques 36 M€, +95%
les produits alimentaires 74 M€ , +33%
les machines et équipements mécaniques, électroniques et autres équipements industriels et agricoles, 59 M€ + 3,6%
les équipements de transport: 45 M€, qui avec la vente de deux appareils ATR en 2010 augmentent de + 160%
– Avec une vente inhabituelle (13 M€ contre 4,6 M précédemment), le sucre gonfle les exportations de produits agroalimentaires qui sont passés de 56 à 75 M€, +33,6%.
-Les produits laitiers et fromages, (7,6M€, +38%) renforcent les ventes du secteur, de même que les préparations à base de céréales (3,4 M€, +25%).

Importations : en hausse de +16% à 405 M€.

Les importations françaises ont également augmenté en 2010, +16%, à 405 M€, très largement dominées par les achats de pétrole et produits pétroliers qui représentent 94,5% des importations totales.
On assiste en 2010 à une reprise des importations de brut (+30% à 371 M€) et de produits pétroliers (12 M€).
Hors secteur pétrolier, les achats ont concerné des produits industriels 16 M€, +7,7% parmi lesquels les produits des industries textile et habillement pour 10 M€, +5,4% et les produits chimiques et de parfumerie 3,6 M€ +9% (savon d’Alep).
Les importations de produits agricoles (3,8 M€), sont constituées pour moitié d’épices entrant dans la fabrication des boissons anisées, les achats d’anis, badiane et cumin s’élèvent à 1,9 M€, soit +40%.
Enfin on relève des importations, inhabituelles, de phosphate pour 4 M€, l’une des principales ressources du pays hors pétrole.

(in lettre de Syrie. Service Economique de l’Ambassade de France. mars 2011)

                    2008 2009 2010 Variation
Exp.fr. vers la Syrie 289 303 332 +9,4%
Impor.fr vers
la syrie
696 348 405 +16,3%
Solde -406 -44 -72,9

Économie – Syrie

Chiffres-Clés de l’économie syrienne (Source : FMI – septembre  2010)

2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
Produit Intérieur Brut (Md USD)
28,6 33,5 40,6 54,5 52,5 59,4 66,0
Croissance réelle du PIB (%)
 6 5,2 6,3 5,2 4 5 5,5
Inflation prix consommation (%)
7,2 10 4,7 14,5 7,5 6,0 5,0
Dette externe/PIB (%)
23,4 19,2 14,5 10,4 12,1 9,1 8,1
Solde budgétaire/PIB (%)
-4,5 -1,1 -4,0 -2,8 -5,5 -4,5 -5,8
Solde budgétaire hors recettes pétrolières/PIB hors pétrole (%)
-11,6
-8,4 -8,9 -7,9 -10,0 -6,3 – 6,2
Importations Biens et Services (Md USD)
10,5 11,7 13,4 16,2 15,8 17,0 18,7
Exportations Biens et Services (Md USD)
7,6 9,1 11,2 13,7 13,2 14,4
Importations Biens et Services hors pétrole (Md USD)
7,8 9,0 10,3 11,4 12,2 13,1 15,2
Exportations Biens et Services hors pétrole (Md USD)
4,7 6,2 7,4 9,0 9,3 11,1 13,2
Solde de la Balance des paiements (Md USD)
-0,5 -1,2 0,6 -0,1 -0,0 0,9 -0,6
Réserves de change brut (Md USD)
En mois d’importations
17,4
16
16,5
13,6
17,0
11,5
17,1
9,4
17,1
10,7
16,6
9,4
16,1
8,4
Croissance PIB hors pétrole 7,5 6,9 5,8 6,0 4,5 5,5 6,0
Croissance pétrole -8,6 -7,1 -4,8 0,0 0,2 0,2 0,0
Solde des échanges pétroliers (Md USD) 0,7 0,0 -1,0 -1,7 -1,0 -1,2  –

2009 et 2010 estimations, 2011 : projections

Économie

Investissements français en Syrie :

La Syrie représente un intérêt croissant pour les investisseurs français
La France est le premier investisseur européen hors pétrole et Total poursuit ses investissements
Le premier investissement français remonte à 1988 avec l’implantation de Total. Depuis, Total a continué à investir très régulièrement pour une meilleure exploitation des champs et signé un accord préférentiel pour en obtenir de nouveaux.

Il faudra ensuite attendre 2003 pour voir arriver des capitaux français importants, en lien avec l’ouverture de la Syrie aux investissements privés.

Bel est ainsi le premier français à avoir implanté une unité de production, inaugurée en 2005 (investissement 100% français) et Lafarge réalise depuis 2008 l’investissement étranger le plus important dans son secteur (construction d’une cimenterie d’une capacité de 3M de tonnes annuelle),  Air Liquide pour sa part a inauguré en 2010 une usine de production de gaz industriels.
Selon les chiffres de la Banque de France, l’IDE français en Syrie avoisine 1,6 milliard USD.se rapproche des stocks détenus par la France au Liban, partenaire principal de la France dans la zone. Ils sont désormais plus élevés que les stocks d’IDE français en Jordanie
Les investissements français en Syrie sont concentrés sur les secteurs hydrocarbures et ressources minières (Total et Lafarge), qui accueillaient 89% des stocks d’IDE français en Syrie en 2008. Le reste concerne l’Immobilier et services aux entreprises 6%, Agriculture et industrie alimentaire 1%, Autres 4%.

En 2010, la Syrie comptait 16 implantations françaises directes et plus d’une vingtaine de sociétés présentes au travers de filiales ou bureaux de représentation, employant 900 personnes. Par-ailleurs, de nombreuses marques sont présentes sous forme de franchise ou licence (biens de consommation et santé essentiellement).

Il est à noter l’arrivée de nouvelles enseignes françaises en distribution (Monoprix, Daniel Hechter…), gestion hôtelière (Ibis et Novotel, groupe Accor) et les ouvertures de bureaux de représentations (Veritas, MTO, …) et les partenariats (Sobem, Sodem…) se multiplient. CMA-CGM a obtenu en juillet 2009 le deuxième terminal portuaire offert en BOT et envisa ge des extensions.
(In lettre de la Syrie, réalisée par la Mission Economique Française en Syrie. Janvier 2011)

Echanges commerciaux franco-syriens au 1er semestre 2010 :
Les flux globaux des échanges commerciaux entre la France et la Syrie enregistrent une hausse de 50% au premier semestre 2010, pour un montant de 468 M €E contre 314 M € au 1er semestre 2009. La balance commerciale bilatérale est déficitaire pour la France -101 M € (positive de 40 millions sur la même période 2009) pour un taux de couverture de 55%.

Les importations françaises au 1er semestre 2010 se sont élevées à 284 M €, composées essentiellement d’hydrocarbures, phosphates, industries textiles (habillement, linge de maison, tissus, fils), produits de toilette et savons d’Alep, plantes à épices (anis, cumin…).

Les exportations françaises s’établissent à 183 M€, en augmentation de + 3,6% par rapport à la même période de 2009. Cette augmentation est largement due à la vente de deux avions ATR (27 M€) à la compagnie nationale syrienne, les ventes de tabac, les machines chaudières et engins mécaniques, (19,7 M€)  les préparations pharmaceutiques (18,8M€), ventes d’instruments et de fournitures médicales (3,2 M€), sucre (3,3M €), produits laitiers et fromages (3M€).
Selon le Bureau des statistiques syriennes, la France ne figure plus parmi les 10 premiers fournisseurs de la Syrie. Seules Malte et l’Italie, pour ce qui concerne les pays européens, prennent place dans ce classement dominé par la Russie, la Chine, l’Ukraine, et la Turquie (Allemagne 11ème fournisseur).

(in lettre de la Syrie, réalisée par la Mission Economique Française en Syrie, Septembre 2010).

Syrie, éclats d’un mythe , de Nathalie Galesne

Syrie, éclats d'un mythePour connaître la Syrie dans son ensemble; pour connaître sa culture, son passé, son présent, sa réalité quotidienne, les légendes qui constituent son quotidien, le charme envoûtant que ses villes continuent à exercer sur les visiteurs, il n’y a pas mieux que le livre de Nathalie Galesne Syrie, éclats d’un mythe.
Le titre lui même est éloquent. Il connote un pays solide, précieux et fragile comme le cristal; un pays éblouissant, étincelant et déroutant comme un palais de glaces; enfin un pays qui a longtemps cultivé le mythe de son homogénéité contre la menace d’éclatement dans un Moyen-Orient explosif. La structure fragmentée que Nathalie Galesne a choisi pour son livre est en harmonie avec cette image du pays: un mélange agréable d’histoires, de citations, de poèmes, d’entretiens et de photos, en plus du texte de l’auteur qui dévoile tout l’amour qu’elle porte à la Syrie.

Le Liban et la Syrie au miroir français (1946-1991)

Par Marie-Thérèse Oliver-Saidi, aux Editions l’Harmattan, 34,50 euros, 396 pages. www.editions-harmattan.fr

 Le Liban et la Syrie au miroir français (1946-1991)Depuis le Mandat exercé par la France au Levant, le Liban et la Syrie n’ont cessé de s’opposer et de s’appeler dans l’imaginaire français. Dans un contexte géopolitique régional et international particulièrement mouvementé, les représentations de ces deux pays ont connu en France, de leur indépendance en 1946 à la guerre du Golfe en 1991, des évolutions aussi importantes qu’inattendues.

Les diverses facettes de ces représentations contrastées sont abordées  tant au niveau de l’histoire que de la littérature au fil des nombreuses crises vécues, notamment de la guerre civile qui débute en 1975 au Liban. Cet événement constitue, à cet égard, un moment charnière dans l’histoire et les relations de ces pays. Après une description des effets du mandat (1920-1946) sur les populations de la Syrie et du Liban, l’auteur se penche sur les événements politiques intervenus dans les deux pays et qui ont jalonné la période 1946-1991.  L’auteur aborde l’œuvre des romanciers français et libanais qui ont  jalonné cette période, et rappelle l’émergence dans les années 1980 du monde français de l’édition à destination du monde arabe (Kartala, Actes Sud, Sindbad…). Un survol exhaustif de l’œuvre des multiples romanciers et auteurs de cette période familière à de nombreux d’entre nous (Amine Maalouf, Nadia Tuéni, Mustapha Al Ujailly…) est ainsi réalisé pour notre grand plaisir.

Marie-Thérèse Oliver-Saidi, Agrégé de Lettres classiques, Docteur d’Etat ès Lettres et Sciences humaines a passé plusieurs années au Moyen-Orient (Liban, Egypte, Turquie), y exerçant diverses responsabilités au sein du ministère des Affaires étrangères .Elle est l’auteur de plusieurs articles sur la littérature francophone et la politique éducative. 

La Botaniste de Damas

La Botaniste de Damas

Après Sciences et Technologies en Islam (UNESCO, 1990) et Syrie, Berceau des civilisations (Paris, ACR, 1997), Simone Lafleuriel-Zakri, historienne française mariée au calligraphe syrien Naaman Zakri, se tourne vers le roman ou plutôt l’histoire romancée.

L’auteure avait beaucoup écrit sur le pharmacologue Ibn Baytar (1195-1148), né à Séville et ayant exercé au Caire au service des Ayyoubides et à Damas. Son Traité des Simples fut traduit par le Dr. Lucien Leclercq (1816-1893), spécialiste de la médecine arabe, médecin en Algérie et dont l’Histoire de l’Algérie montre son excellente connaissance de ce pays au XIXe siècle.
La Botaniste de Damas peut attirer trois sortes de lecteurs ; ceux qui aiment le Vieux Damas superbement emmuraillé avec ses souqs médiévaux, sa « qaïssarya » (marché de Tissus), son bimaristan (hôpital ayyoubide) entourant le temenos séculaire de la Mosquée des Omeyades, dont les mosaïques byzantines, représentant la ville du VIIIe siècle, ont traversé les temps. C’est dans ce décor qu’évoluent les personnages réels ou « recomposés » à partir d’archives de l’époque ; la Ghouta est également décrite avec ses produits fruitiers, ses légumes, ses herbes médicinales. Ainsi voit-on confectionner les mets damascènes préparés par Hasifa, fille d’un médecin et elle-même botaniste,et les servantes et qui enchantent les hôtes du père de Hasifa, Ibn Baytar, le grand Ibn Arabi, d’autres intellectuels et médecins venus se restaurer dans cette maison accueillante.
Les amateurs d’histoire apprécieront le rayonnement de Damas dans le monde d’alors ; les marchands vénitiens s’y installent, et le fils de Hasifa deviendra maître verrier à Murano ; les pèlerins irakiens rejoignent le départ du Hajj (pèlerinage) dont la caravane se forme dans les faubourgs du Maïdan ; les contacts avec les Francs, parfois alliés, parfois ennemis, permettent de se rendre à Acre et d’Acre en Egypte, et de là dans le Kanem (Tchad actuel) dont les souverains étaient liés aux Hafsides de Tunis.

Malheureusement, des évènements tragiques vont survenir à Damas et à Alep dus aux combats fratricides entre les monarques ayyoubides, régnant en Syrie ou en Egypte et qui font appel à des mercenaires turcs du Khawarezm (Iran oriental), pillards chassés vers l’ouest par les Mongols. Puis ce seront ces mêmes Mongols qui détruiront la civilisation abbasside à Bagdad et ne pourront être chassés de Syrie que par des mercenaires mamelouks venus d’Egypte.

D’autres lecteurs examineront avec attention les descriptions de plantes médicinales consignées dans les ouvrages d’Ibn Baytar ou de son disciple damascène Ahmed Ibn Ali Ousaybiya (1195-1270). L’auteure rappelle que les découvertes de la pharmacopée arabe seront transférées en Andalousie et de là dans toute l’Europe.

Le chercheur consultera avec intérêt les annexes de l’ouvrage, les biographies d’Ibn Baytar, d’Ibn Arabi, l’évocation de la lignée célèbre des libraires de la famille Jazari, la notice sur les voyages à travers toute la Méditerranée d’Ibn Baytar depuis Malaga jusqu’à Antioche, son séjour en Egypte (une erreur à corriger : « Matariya », faubourg nord du Caire n’est pas situé en « Arabie Saoudite », laquelle d’ailleurs, au XIIIe siècle, n’existait pas), en Irak, en Palestine et au Maghreb ; la chronologie des sultans ayyoubides, un glossaire, un lexique des mots arabes passés en français, le rappel biblio-biographique de Lucien Leclercq et une bonne bibliographie consacrée au sujet du livre.

L’auteure a eu l’occasion de présenter son ouvrage récemment, au Centre Culturel Syrien ; nous lui souhaitons de le voir diffusé dans le plus grand nombre de sociétés savantes et auprès du grand public, car ces 485 pages constituent un travail considérable qui intéressera et passionnera de nombreux lecteurs

Christian Lochon

La grande mosquée des Omeyyades à Damas

La grande mosquée des Omeyyades à Damas

L’un des plus anciens monuments (temple araméen puis grec, église byzantine, mosquée) et des plus prestigieux de l’architecture musulmane. Les mosaïques, l’un des joyaux du patrimoine mondial, sont reproduites dans leur intégralité. 

Édifiée par le sixième calife omeyyade, le conquérant al-Walid (705-715), pour la plus grande gloire de l’islam, de la dynastie et de sa personne, sur l’emplacement d’un ancien temple païen d’Hadad-Jupiter devenu église depuis Théodose, la grande mosquée de Damas fut d’emblée considérée comme l’une des merveilles du monde, surpassant en beauté et en majesté toutes les créations du calife et de son père, ‘Abd al-Malik, à Jérusalem (Dôme du Rocher, mosquée al-Aqsa) ou à Médine.
Géographes, historiens, voyageurs : al-Idrisi, Benjamin de Tudèle, Ibn Battuta, Ibn Khaldun, rivalisèrent de superlatifs pour en louer le caractère unique; jusqu’à cet ambassadeur de Byzance qui, selon la chronique, tomba évanoui en découvrant l’intérieur de la salle de prière! Cette universelle admiration tient d’abord à l’ampleur de ses dimensions et à l’audace de sa conception architecturale, tranchant avec celle des mosquées précédentes pour mieux rivaliser avec les plus fameuses églises de la Syrie.
L’immense salle de prière, désormais séparée de la cour par une façade monumentale, adopte le plan basilical d’inspiration antique et se développe de part et d’autre d’un « transept » médian, déployant ses colonnes de marbre à chapiteaux corinthiens, reliées par des arcs outrepassés selon la tradition byzantine. La coupole à tambour octogonal, les trois minarets, la cour pavée de marbre blanc, entourée de piliers et de colonnes alternées, les portes ouvragées, la Maison de l’argent (Bayt al-Mal), de structure octogonale, elle aussi, et construite selon la technique byzantine: tout porte la marque d’un grandiose dessein.
Mais la merveille des merveilles, ce sont les mosaïques. En grande partie détruites par l’incendie de 1893, elles ornaient originairement les murs de la salle de prière et des vestibules, les murs de fond des portiques ainsi que tous les piliers. Un grand panneau, redécouvert en 1927 sur le mur du portique ouest et restauré depuis, est à lui seul un chef-d’oeuvre artistique absolu. La richesse chromatique, incluant une gamme de quarante tons :douze verts, neuf bleus, cinq violets, plusieurs tons d’or et d’argent, est accentuée par les incrustations de nacre illustrant la lumière, symbolique, des lampes omniprésentes dans le décor.
L’univers entier est représenté en ce lieu qui s’affirme le centre du monde : la luxuriance d’une nature souvent qualifiée de « paradisiaque » ; la théâtralité des architectures de villes et de palais qui rappellent les plus glorieuses créations de Rome et de Byzance, à Pompéi, à Boscoreale, à Sainte-Marie-Majeure, à Saint-Georges de Salonique, au Grand Palais des empereurs de Constantinople. Livre de splendeurs, d’érudition aussi.
L’auteur relate en détail, citant chacune des sources, la lente redécouverte par l’Occident d’un lieu dont il était exclu et dont il refusa longtemps, jusqu’au milieu du siècle dernier, d’attribuer la création à l’islam, prétendant que la mosquée n’était rien d’autre que l’ancienne basilique chrétienne. Ainsi, le livre participe-t-il de l’incessant mouvement de reconstruction et de restauration qui, au fil des siècles et de leurs catastrophes, séismes et incendies, rétablit dans sa gloire l’unique, la sans pareille mosquée des Omeyyades.