« Rue des Syriens », de Raphaël Confiant

"Rue des Syriens", de Raphaël Confiant

éditions Mercure de France

Dans son dernier livre, le romancier martiniquais Raphaël Confiant relate la saga des Syro-libanais en Martinique.
Le synopsis : À la fin du XIXe siècle, des centaines de milliers d’habitants issus des pays du Levant – Syrie, Palestine, Liban et Jordanie – émigrèrent en Amérique du Sud et dans l’archipel des Antilles. Ils furent désignés sous le nom générique de « Syriens ». Wadi est l’un d’eux. Quand il débarque à Fort-de-France dans les années 1920, le dépaysement est total. Il est à la recherche de son oncle Bachar, qui l’a précédé en Martinique au début du siècle. Wadi a tout à construire dans ce nouveau pays où il va vivre de multiples aventures et croiser de nombreux personnages : Fanotte la superbe et fantasque revendeuse, Bec-en-Or le crieur de magasin, Ti Momo le fier-à-bras amateur de combats de coqs, des maîtres en sorcellerie, un boutiquier chinois, un prêtre hindou, et bien d’autres encore, caractéristiques du melting-pot antillais…

Avec « Rue des Syriens », Raphaël Confiant poursuit son décryptage sociologique et culturel de l’histoire de la Martinique. Auteur prolixe, avec une soixantaine de livres, écrits en français et en créole (romans, essais, traductions de l’anglais), Confiant excelle dans l’art de restituer avec saveur la trace des innombrables apports qui ont forgé l’identité composite de son île.
Dans ses ouvrages, l’auteur s’est toujours attaché à l’exploration minutieuse, mais aussi truculente et ludique, des itinéraires multiples à l’origine de la société martiniquaise : hommes et femmes venus d’Afrique, d’Europe, de Chine et d’Inde, du Moyen-Orient, voisins sud-américains, autochtones amérindiens et des îles environnantes.

« 1945. L’Empire rompu », Henri de Wailly

« 1945. L’Empire rompu », Henri de Wailly

Édition Perrin, 2012

C’est le troisième ouvrage d’Henri de Wailly consacré à la Syrie après « Syrie : 1941. La guerre occultée » et « Liban, Syrie : le mandat. 1919-1940 » dont nous avions rendu compte (cf. N°38 de notre Lettre. Juillet 2010).

A l’heure où la situation en Syrie tient dramatiquement la vedette sur la scène internationale, ce livre ne pouvait mieux tomber. Il nous permet d’appréhender cette période amicale de l’histoire des relations tumultueuses entre la France et la Syrie et marquent le signal de départ de la décolonisation française en Indochine et en Algérie (1945-1962). D’où le titre de l’ouvrage.

Henri de Wailly, un des meilleurs historiens de la décolonisation dont les ouvrages furent couronnés par l’Académie française et par l’Académie des Sciences morales et politiques, nous permet, une fois de plus, avec « l’Empire rompu » de mieux comprendre et mesurer le rôle du pouvoir français d’alors, incarné par le Général de Gaulle, qui consacra à ces évènements un long et passionnant chapitre dans ses « Mémoires de guerre ».

L’archéologie a l’honneur

Des conférences ayant pour thème la présentation des multiples sites et aspects de l’archéologie syrienne sont régulièrement organisées tous les mois par le Centre Culturel Arabe Syrien.

Citons pour mémoire la tenue depuis le début de cette année des conférences suivantes :

–  Conférence le 10 janvier 2012 de Mme Béatrice Muller, Directeur de recherche au CNRS, UMR 7041 ArScAn, Archéologies et Sciences de l’Antiquité – Nanterre, sur le thème «La peinture murale en Syrie et en Mésopotamie (du IVe au Ier millénaire av. J.-C.)». 

peinture murale syro-mésopotamienneMéconnue en raison de son mauvais état de conservation, la peinture murale syro-mésopotamienne a joué, dans l’art et dans la vie quotidienne, un rôle beaucoup plus important que ce que pourrait laisser croire la rareté de ses vestiges. Le décor coloré, tant géométrique que figuratif, s’organise savamment dans les maisons, les palais et les temples et témoigne de préoccupations où la figure royale et la figure divine, souvent associée symboliquement à des animaux, tiennent la plus grande part.
          

Conférence le 31 janvier de M. Eric Coqueugniot, Directeur de recherche au CNRS, Responsable de la   fouille de Dja’de, qui a traité de « Dja’de el Mughara, un village du 9ème millénaire avant notre ère en Syrie (Vallée de l’Euphrate) ».

Le néolithique apparaît au Moyen-Orient, notamment dans le nord de la Syrie, avant    l’Europe.    On    assiste       selon       des    étapes    successives à la naissance des divinités, à la sédentarisation, à l’agriculture, à l’élevage, puis à la céramique. La question de la domestication des plantes, des animaux et de la sédentarité est évoquée.      On a notamment découvert des figurines féminines avec la symbolique du taureau, des figurines féminines et des figurines asexuées, ainsi que des petites haches en céramique, des poignards et des flèches en silex. La découverte également d’une sépulture de 70 individus « maison des morts », sans offrandes ni objets est ensuite relatée.

      

– Conférence le 7 février de M. Pierre Leriche, Directeur de Recherche Emérite au CNRS, Directeur de la Mission Franco-Syrienne d’Europos-Doura, Responsable de l’Association Orient Hellénisé, sur le thème « Europos-Doura sur l’Euphrate, Témoin exceptionnel de la civilisation de la Syrie classique. Découvertes récentes »

steppe syrienne et Djeziré, Europos-Doura

Entre steppe syrienne et Djeziré, Europos-Doura marque de sa forte présence le paysage avec ses murailles remarquablement conservées et ses ruines qui dominent l’Euphrate du haut d’une falaise de quarante mètres.Située entre Deir ez Zor et Al Boukamal, elle a été fouillée depuis 1920 par trois missions archéologiques successives qui y ont dégagé de nombreux monuments et ont révélé l’un des sites archéologiques les plus prestigieux de la Syrie antique. Définitivement désertée en 256 à l’issue d’un siège acharné par les Sassanides, elle n’a jamais été réoccupée. C’est ainsi qu’ont été remarquablement préservés ses monuments et qu’y ont été découverts de nombreux documents illustrant la vie de cette période. Ceci en fait la source majeure de l’histoire du Proche Orient grec, parthe et romain. Ses peintures, dont certaines ont été récemment découvertes, sont particulièrement célèbres et lui ont valu d’être appelée « La Pompéi du désert ».

Rappelons en particulier, les restes d’une synagogue de 12 m de long sur 8 m de large ont été découverts, témoignent de la présence d’une communauté juive très active. Les peintures qui couvrent l’ensemble des murs représentent la vie de Moïse et ont été transportées au musée de Damas. 19 édifices religieux ont été découverts consacrés à des dieux différents (Artémis, Aphrodite, Bâal….)

La réunion le 27 mars sous le titre de : « La Syrie antique, terre des reines » a donné lieu à deux présentations distinctes :

–  « Les reines de Syrie aux IIIe et IIe millénaires av.J.C. » par Mme Brigitte Lion, Professeur d’histoire ancienne à l’Université François Rabelais, Tours.

Si en Syrie, les femmes n’exercent pas la réalité du pouvoir politique aux IIIe et IIe millénaires av.J.C., les femmes de la famille royale jouissent d’un grand prestige et exercent des fonctions administratives importantes. La mère du roi bénéficie d’un statut élevé, son épouse principale est informée de la situation politique et joue un rôle majeur dans la gestion du palais, ses filles contribuent à la création de jeux d’alliances par le biais de mariages diplomatiques. Les archives des palais d’Ebla, de Mari et d’Ougarit permettent d’étudier cette place remarquable des femmes pendant plus d’un millénaire, du XXIV au XIIIe s.av.J.C.

–  « Zénobie : de Palmyre à Rome » par Mme Virginie Girod-Drost, Docteur en Histoire de l’Université Paris IV-Sorbonne.

Zénobie (267-273), la reine des reines, est un personnage emblématique de la Syrie antique. Par son ambition et son habileté, elle s’est imposée sur la scène politique romaine de laquelle les femmes étaient généralement exclues. Zénobie, comme les autres impératrices syriennes, à l’instar de Julia Domna, a affolé les chroniqueurs de l’Histoire Auguste qui lui ont consacré un chapitre complet dans le livre des Trente Tyrans. Reine orientale, elle devint, sous la plume des historiens romains, une nouvelle Cléopâtre.

Parution d’un roman historique

« Syrie, mon amour. 1860, au cœur d’une guerre oubliée », roman historique de Christine Malgorn, paru chez l’Harmattan (29€).
Ce roman nous transporte dans la Syrie de 1860 quand ce pays et le Liban faisaient partie du vaste Empire ottoman, en particulier à Damas où eurent lieu de sanglants événements  entre chrétiens et musulmans précédés de tout aussi dramatiques événements entre druzes et maronites au Mont-Liban.

L’histoire est-elle condamnée à se répéter ? Une fois encore on s’aperçoit que derrière la défense d’une noble cause, se cachent des enjeux politiques et économiques. C’est ainsi que sur un arrière-fond de rivalité franco-anglaise pour la domination de la région soumise encore à l’autorité vacillante du Sultan ottoman, que ces événements vont provoquer l’intervention d’un corps expéditionnaire de huit mille hommes de l’Empereur Napoléon III, qui débarque à Beyrouth en août 1860. Parmi ces soldats figure Pierre, héros du roman, qui découvre l’orient.

Au-delà de la trame romanesque, la lecture de ce livre nous livre de précieuses indications sur l’origine des conflits qui ont ensanglanté la région à cette époque ainsi que des descriptions détaillées de la vie socio-économique de ses habitants.

Les conséquences du système des capitulations étrangères sont décrites dont l’existence des Consulats à Damas, qui quel que soit le pays représenté, jouaient le rôle d’un état dans l’Etat au détriment de la paix entre les communautés musulmane et chrétienne. Les agents consulaires se transformant en commerçants spécialisés dans la vente des protections lesquelles permettent à leur tour à celui qui en est détenteur, de disposer d’un statut d’extra-territorialité et d’échapper à l’impôt dû au Sultan.

Les textiles des manufactures européennes qui ont commencé à se déverser en 1840 en Syrie ont fait disparaître des milliers d’artisans et de tisserands de Damas et d’Alep. Les métiers à tisser n’ont pu lutter contre l’entrée de ces productions industrielles.

Le livre contient une description des souks de Damas (souk des selliers, artisans, tissus et Caravansérail Assad Pacha) ainsi qu’ une représentation des karakaguez, semblables aux guignols actuels qui jouent un rôle dans la propagation des rumeurs.

L’action des hommes de l’Emir Abdel Kader le 10 juillet 1860 pour assurer le sauvetage des chrétiens lors de ces événements y est rappelée.

Le rôle de Fouad Pacha, Emissaire du Sultan ottoman qui instaure une punition exemplaire en procédant à l’exécution des responsables ottomans du massacre de Damas est soulignée ainsi que ses rapports avec le Général de Beaufort, Chef du corps expéditionnaire.L’origine des événements qui ont opposé les Chrétiens et les Druzes au Liban serait due en partie aux hommes d’église maronite et aux luttes de pouvoir entre cheikhs et religieux druzes et maronites.

L’entrée en scène d’un parent du personnage principal Pierre dans le roman, journaliste anticlérical, qui joue le rôle d’informateur permet d’éclairer le point de vue des druzes dans le le déroulement des luttes avec les maronites. Afin de contrecarrer le soutien apporté par la France aux maronites, les druzes pactisèrent dès lors avec des missionnaires protestants.
Soulignons également , l’épisode du bref passage de Pierre dans la Ville de Zahlé dans la Békaa et sa rencontre avec le père Paolo qui lui apporte un certain apaisement. Cette ville enrichie par le commerce de la soie et où l’on voit y éclore la production de vin y est décrite comme « une République théocratique », la religion catholique était érigée en religion d’Etat, soustraite de ce fait à l’autorité ottomane. Huit mille druzes iront par la suite à l’assaut de Zahlé sous la férule de Khattar Al Imad.
La Culture du mûrier à Deir El Qamar et dans la région du Mont-Liban incitera les industriels de Lyon à créer de multiples de filatures de soie. Le développement de l’industrie de la soie en Syrie devient dès lors un enjeu économique pour la France.

MA

Syrie, éclats d’un mythe , de Nathalie Galesne

Syrie, éclats d'un mythePour connaître la Syrie dans son ensemble; pour connaître sa culture, son passé, son présent, sa réalité quotidienne, les légendes qui constituent son quotidien, le charme envoûtant que ses villes continuent à exercer sur les visiteurs, il n’y a pas mieux que le livre de Nathalie Galesne Syrie, éclats d’un mythe.
Le titre lui même est éloquent. Il connote un pays solide, précieux et fragile comme le cristal; un pays éblouissant, étincelant et déroutant comme un palais de glaces; enfin un pays qui a longtemps cultivé le mythe de son homogénéité contre la menace d’éclatement dans un Moyen-Orient explosif. La structure fragmentée que Nathalie Galesne a choisi pour son livre est en harmonie avec cette image du pays: un mélange agréable d’histoires, de citations, de poèmes, d’entretiens et de photos, en plus du texte de l’auteur qui dévoile tout l’amour qu’elle porte à la Syrie.

Le Liban et la Syrie au miroir français (1946-1991)

Par Marie-Thérèse Oliver-Saidi, aux Editions l’Harmattan, 34,50 euros, 396 pages. www.editions-harmattan.fr

 Le Liban et la Syrie au miroir français (1946-1991)Depuis le Mandat exercé par la France au Levant, le Liban et la Syrie n’ont cessé de s’opposer et de s’appeler dans l’imaginaire français. Dans un contexte géopolitique régional et international particulièrement mouvementé, les représentations de ces deux pays ont connu en France, de leur indépendance en 1946 à la guerre du Golfe en 1991, des évolutions aussi importantes qu’inattendues.

Les diverses facettes de ces représentations contrastées sont abordées  tant au niveau de l’histoire que de la littérature au fil des nombreuses crises vécues, notamment de la guerre civile qui débute en 1975 au Liban. Cet événement constitue, à cet égard, un moment charnière dans l’histoire et les relations de ces pays. Après une description des effets du mandat (1920-1946) sur les populations de la Syrie et du Liban, l’auteur se penche sur les événements politiques intervenus dans les deux pays et qui ont jalonné la période 1946-1991.  L’auteur aborde l’œuvre des romanciers français et libanais qui ont  jalonné cette période, et rappelle l’émergence dans les années 1980 du monde français de l’édition à destination du monde arabe (Kartala, Actes Sud, Sindbad…). Un survol exhaustif de l’œuvre des multiples romanciers et auteurs de cette période familière à de nombreux d’entre nous (Amine Maalouf, Nadia Tuéni, Mustapha Al Ujailly…) est ainsi réalisé pour notre grand plaisir.

Marie-Thérèse Oliver-Saidi, Agrégé de Lettres classiques, Docteur d’Etat ès Lettres et Sciences humaines a passé plusieurs années au Moyen-Orient (Liban, Egypte, Turquie), y exerçant diverses responsabilités au sein du ministère des Affaires étrangères .Elle est l’auteur de plusieurs articles sur la littérature francophone et la politique éducative. 

La Botaniste de Damas

La Botaniste de Damas

Après Sciences et Technologies en Islam (UNESCO, 1990) et Syrie, Berceau des civilisations (Paris, ACR, 1997), Simone Lafleuriel-Zakri, historienne française mariée au calligraphe syrien Naaman Zakri, se tourne vers le roman ou plutôt l’histoire romancée.

L’auteure avait beaucoup écrit sur le pharmacologue Ibn Baytar (1195-1148), né à Séville et ayant exercé au Caire au service des Ayyoubides et à Damas. Son Traité des Simples fut traduit par le Dr. Lucien Leclercq (1816-1893), spécialiste de la médecine arabe, médecin en Algérie et dont l’Histoire de l’Algérie montre son excellente connaissance de ce pays au XIXe siècle.
La Botaniste de Damas peut attirer trois sortes de lecteurs ; ceux qui aiment le Vieux Damas superbement emmuraillé avec ses souqs médiévaux, sa « qaïssarya » (marché de Tissus), son bimaristan (hôpital ayyoubide) entourant le temenos séculaire de la Mosquée des Omeyades, dont les mosaïques byzantines, représentant la ville du VIIIe siècle, ont traversé les temps. C’est dans ce décor qu’évoluent les personnages réels ou « recomposés » à partir d’archives de l’époque ; la Ghouta est également décrite avec ses produits fruitiers, ses légumes, ses herbes médicinales. Ainsi voit-on confectionner les mets damascènes préparés par Hasifa, fille d’un médecin et elle-même botaniste,et les servantes et qui enchantent les hôtes du père de Hasifa, Ibn Baytar, le grand Ibn Arabi, d’autres intellectuels et médecins venus se restaurer dans cette maison accueillante.
Les amateurs d’histoire apprécieront le rayonnement de Damas dans le monde d’alors ; les marchands vénitiens s’y installent, et le fils de Hasifa deviendra maître verrier à Murano ; les pèlerins irakiens rejoignent le départ du Hajj (pèlerinage) dont la caravane se forme dans les faubourgs du Maïdan ; les contacts avec les Francs, parfois alliés, parfois ennemis, permettent de se rendre à Acre et d’Acre en Egypte, et de là dans le Kanem (Tchad actuel) dont les souverains étaient liés aux Hafsides de Tunis.

Malheureusement, des évènements tragiques vont survenir à Damas et à Alep dus aux combats fratricides entre les monarques ayyoubides, régnant en Syrie ou en Egypte et qui font appel à des mercenaires turcs du Khawarezm (Iran oriental), pillards chassés vers l’ouest par les Mongols. Puis ce seront ces mêmes Mongols qui détruiront la civilisation abbasside à Bagdad et ne pourront être chassés de Syrie que par des mercenaires mamelouks venus d’Egypte.

D’autres lecteurs examineront avec attention les descriptions de plantes médicinales consignées dans les ouvrages d’Ibn Baytar ou de son disciple damascène Ahmed Ibn Ali Ousaybiya (1195-1270). L’auteure rappelle que les découvertes de la pharmacopée arabe seront transférées en Andalousie et de là dans toute l’Europe.

Le chercheur consultera avec intérêt les annexes de l’ouvrage, les biographies d’Ibn Baytar, d’Ibn Arabi, l’évocation de la lignée célèbre des libraires de la famille Jazari, la notice sur les voyages à travers toute la Méditerranée d’Ibn Baytar depuis Malaga jusqu’à Antioche, son séjour en Egypte (une erreur à corriger : « Matariya », faubourg nord du Caire n’est pas situé en « Arabie Saoudite », laquelle d’ailleurs, au XIIIe siècle, n’existait pas), en Irak, en Palestine et au Maghreb ; la chronologie des sultans ayyoubides, un glossaire, un lexique des mots arabes passés en français, le rappel biblio-biographique de Lucien Leclercq et une bonne bibliographie consacrée au sujet du livre.

L’auteure a eu l’occasion de présenter son ouvrage récemment, au Centre Culturel Syrien ; nous lui souhaitons de le voir diffusé dans le plus grand nombre de sociétés savantes et auprès du grand public, car ces 485 pages constituent un travail considérable qui intéressera et passionnera de nombreux lecteurs

Christian Lochon

La grande mosquée des Omeyyades à Damas

La grande mosquée des Omeyyades à Damas

L’un des plus anciens monuments (temple araméen puis grec, église byzantine, mosquée) et des plus prestigieux de l’architecture musulmane. Les mosaïques, l’un des joyaux du patrimoine mondial, sont reproduites dans leur intégralité. 

Édifiée par le sixième calife omeyyade, le conquérant al-Walid (705-715), pour la plus grande gloire de l’islam, de la dynastie et de sa personne, sur l’emplacement d’un ancien temple païen d’Hadad-Jupiter devenu église depuis Théodose, la grande mosquée de Damas fut d’emblée considérée comme l’une des merveilles du monde, surpassant en beauté et en majesté toutes les créations du calife et de son père, ‘Abd al-Malik, à Jérusalem (Dôme du Rocher, mosquée al-Aqsa) ou à Médine.
Géographes, historiens, voyageurs : al-Idrisi, Benjamin de Tudèle, Ibn Battuta, Ibn Khaldun, rivalisèrent de superlatifs pour en louer le caractère unique; jusqu’à cet ambassadeur de Byzance qui, selon la chronique, tomba évanoui en découvrant l’intérieur de la salle de prière! Cette universelle admiration tient d’abord à l’ampleur de ses dimensions et à l’audace de sa conception architecturale, tranchant avec celle des mosquées précédentes pour mieux rivaliser avec les plus fameuses églises de la Syrie.
L’immense salle de prière, désormais séparée de la cour par une façade monumentale, adopte le plan basilical d’inspiration antique et se développe de part et d’autre d’un « transept » médian, déployant ses colonnes de marbre à chapiteaux corinthiens, reliées par des arcs outrepassés selon la tradition byzantine. La coupole à tambour octogonal, les trois minarets, la cour pavée de marbre blanc, entourée de piliers et de colonnes alternées, les portes ouvragées, la Maison de l’argent (Bayt al-Mal), de structure octogonale, elle aussi, et construite selon la technique byzantine: tout porte la marque d’un grandiose dessein.
Mais la merveille des merveilles, ce sont les mosaïques. En grande partie détruites par l’incendie de 1893, elles ornaient originairement les murs de la salle de prière et des vestibules, les murs de fond des portiques ainsi que tous les piliers. Un grand panneau, redécouvert en 1927 sur le mur du portique ouest et restauré depuis, est à lui seul un chef-d’oeuvre artistique absolu. La richesse chromatique, incluant une gamme de quarante tons :douze verts, neuf bleus, cinq violets, plusieurs tons d’or et d’argent, est accentuée par les incrustations de nacre illustrant la lumière, symbolique, des lampes omniprésentes dans le décor.
L’univers entier est représenté en ce lieu qui s’affirme le centre du monde : la luxuriance d’une nature souvent qualifiée de « paradisiaque » ; la théâtralité des architectures de villes et de palais qui rappellent les plus glorieuses créations de Rome et de Byzance, à Pompéi, à Boscoreale, à Sainte-Marie-Majeure, à Saint-Georges de Salonique, au Grand Palais des empereurs de Constantinople. Livre de splendeurs, d’érudition aussi.
L’auteur relate en détail, citant chacune des sources, la lente redécouverte par l’Occident d’un lieu dont il était exclu et dont il refusa longtemps, jusqu’au milieu du siècle dernier, d’attribuer la création à l’islam, prétendant que la mosquée n’était rien d’autre que l’ancienne basilique chrétienne. Ainsi, le livre participe-t-il de l’incessant mouvement de reconstruction et de restauration qui, au fil des siècles et de leurs catastrophes, séismes et incendies, rétablit dans sa gloire l’unique, la sans pareille mosquée des Omeyyades.

La création romanesque en Syrie 1967-2006)

d’Elisabeth Vauthier (Damas, Institut François du Proche-Orient 2007)

Rares sont les ouvrages consacrés à la littérature contemporaine syrienne et l’étude d’Elisabeth Vauthier permet de mieux approcher des auteurs arabophones bien connus en Syrie et dans le monde arabe mais que le public français connaît à peine. L’auteure nous avait déjà livré Le Roman syrien de 1967 à nos jours (Paris, L’Harmattan, 2002).
De notre côté, dans le cadre de l’AFS, nos amis se rappellent de la soirée littéraire syrienne que nous avions organisée à la Maison Molière le 5 mai 2000, sur une mise en scène du poète Franck Smith, et où les Professeurs Robert Santucci et Ali Ibrahim, alors directeur du Centre Culturel Syrien, avaient présenté une lecture d’extraits d’écrivains syriens avec Mme Roula Nabulsi, Anne France Avillon, Myriam Guilbert et MM Hussam Khastim et Christian Lochon. Puis le 25 mai 2005, au Centre Culturel syrien, Roula Nabulsi, Walieddin Saïdi et Christian Lochon avait présenté certaines composantes de la littérature syrienne avec des extraits de romanciers, de poètes et d’essayistes. Mais déjà, le 31 mai 1995, l’écrivaine Myriam Antaki avait donné un aperçu de son œuvre dans une conférence organisée par l’AFS, à l’Elysée-Marbeuf. Ces manifestations furent toujours présentées à l’intention de nos lecteurs dans notre Bulletin. Comme la soirée littéraire qui se tint le 17/04/2009, à la demande du directeur du Centre Culturel Syrien, avec des lectures d’autres textes littéraires par Roula Nabulsi (les romancières syriennes), Walieddin Saïdi et Christian Lochon (cf notre Bulletin N°36).

E. Vauthier, dans son deuxième ouvrage, examine le réveil qualitatif du roman syrien de 1967 avec de nouveaux thèmes : la lutte nationaliste, l’unité arabe, la libération de la femme et les tentatives d’évolution sociales, car les nouveaux écrivains éprouvent un sentiment de responsabilité vis-à-vis de leurs concitoyens. Ainsi de Abd Al Nabi Hijazi dans son roman le Vaisseau du temps lourd, 1970 (Qarib ezzaman Ethaquil) qui évoque le conflit israélo-arabe et témoigne du désarroi des intellectuels ; ou Hani Al Raheb dans Faille dans une longue histoire, 1979, (Chirakh fi tarikh tawil) décrivant l’échec de l’Union syro-égyptienne, le conservatisme de la société les décalages entre l’espoir et le vécu ; ou La neige vient de la fenêtre ,1984, (Al talej ya’ati min annafiza) de Hanna Mina, fait appel à des références culturelles, dont une thématique chrétienne (« Il faut que je porte ma croix » dit un personnage), un espace géographique englobant Syrie et le Liban, des références historiques partagées ; ou La Distance (AlMasafa), de Youssef Al Sayegh, auquel les techniques cinématographiques utilisées donnent un aspect de « nouveau roman » ; c’est que la conception existentialiste d’alors montrait l’être social en butte à une organisation collective qui ne le satisfaisait pas.

Après 1967, le roman est encore lié à l’Histoire mais explore les voies de l’intériorité et de la subjectivité. Haydar Haydar dans Le temps dévasté, 1979, (Azzaman almouwahach) montre des personnages qui subissent les contraintes d’une société qui a perdu la Palestine, le Sanjaq, recherchent l’amour en vain et meurent violemment. Hani Al Raheb dans 1002 Nuits, 1979, (Alf leyla wa leyltan) s’interroge sur les lecteurs éventuels, car « le peuple ne lit pas les romans » et la société est assoupie. Alors il faut privilégier le sujet à l’être social et créer un modèle néo-réaliste, Ghada al Samman dans Beyrouth 75 montre un univers aux valeurs sociales dévoyées comme l’exprime le proverbe populaire « Si tu n’as qu’un sou, tu ne vaux pas un sou ». Féministe, Ghada accuse cette société qui rend la femme une éternelle dépendante. Elle se venge par des descriptions réalistes de l’union sexuelle qui lui ont été reprochées. Khairi Dhahabi dans le Royaume des simples, 1976, (Malkout Al Boussata) évoque les traditions où la mère veuve marie ses fils à sa convenance, plongeant ses proches dans l’affliction. Dans quatre chapitres, chacun des protagonistes livre son évaluation de la situation. Ainsi le romancier recherche le compromis entre modernisme et enracinement local. Khalil An-Nuaïmi dans Les Réprouvés, 1990, (Al Khula’a), l’héroïne refuse « la condition naturelle » qui lui est imposée : « Ce qui n’est pas autorisé aux femmes est permis aux hommes », s’écrie-t–elle. Haïdar Haïdar dans Festin d’Algues (Walima lia’chab al bahr), qui fut interdit en Egypte, et dont l’action se passe en Algérie, s’attaque aux autorités politiques et religieuses. La mer est un refuge pour les opposants, comme l’indique cette citation de Camus : « Avec eux je suis inconnu et pour sortir de mon exil, je vais contempler la mer ». Quant à Ulfa Idlibi, dont nous parla si bien au cours de la soirée littéraire évoquée, Roula Nabulsi, elle choisit le genre du « hikâya » (histoire et conte) comme dans L’histoire de mon grand’ père, 1990, (hikâya jeddi).

E. Vauthier conclut que, dans la littérature syrienne, la femme possède un état ambigu : elle joue le rôle de séductrice, oscille entre un statut de victime et d’être diabolique. Quant au roman, greffe importée d’Europe, il est devenu un vecteur incontournable de la vie culturelle, mais il demeure menacé par la pression sociale et politique, la cherté de la vie, l’absence d’un système de distribution et de communication, et aussi un public encore restreint.

Ce qui est souhaitable, c’est que soient traduits en français et publiés les auteurs syriens qui peuvent apporter à la littérature mondiale l’expérience et le talent qu’ils ont hérité d’un pays de si riche et si ancienne culture.

Christian Lochon