Ce sont des scènes que les habitants de Damas s’étaient accoutumés à voir à la télévision : des files de civils faisant la queue devant un point d’eau à Alep pour remplir un bidon, au plus fort du conflit dans la ville du nord de la Syrie. Mais la guerre de l’eau a atteint la capitale.
Depuis le 22 décembre, les Damascènes sont à leur tour confrontés à l’attente et aux privations. Plus une goutte ne parvient de la région voisine de Wadi Barada, une enclave rebelle où se trouvent les principales sources d’eau qui alimentent la ville, depuis l’irruption de violents combats lancés par l’armée syrienne. Les affrontements se poursuivent malgré le cessez-le-feu parrainé par Moscou et Ankara. Régime et rebelles s’accusent mutuellement d’avoir provoqué la crise de l’eau.
La panique des premiers jours a laissé place à une résignation mêlée de colère. Dans certains quartiers de la capitale, les robinets restent désespérément à sec. Dans la plupart des faubourgs, l’eau est fournie quelques heures, mais pas tous les jours. » Je n’ai jamais vu cela de ma vie, s’exclame Anas (le prénom a été changé), âgé d’une soixantaine d’années. Même avant la guerre, nous subissions de durs rationnements l’été, à cause de la sécheresse. Mais un peu d’eau parvenait chaque jour. «
C’est une privation de plus pour Damas. Certes, relativement préservée des combats, malgré la chute régulière d’obus rebelles et malgré l’écho des bombardements de l’armée ou des affrontements dans les banlieues, la capitale syrienne est soumise, elle aussi, aux coupures d’électricité et à l’inflation galopante. Au cours des derniers jours, le prix des bouteilles d’eau potable s’est envolé.
» Crime de guerre »
Pour pallier les manques, l’eau est tirée des forages qui parsèment Damas. Les quelque 300 puits sont d’ordinaire exploités l’été. Face à l’urgence, les Nations unies, qui craignent une crise sanitaire, délivrent de l’eau à une cinquantaine d’écoles, tandis que le Comité international de la Croix-Rouge a distribué des citernes d’eau à des boulangeries ou des hôpitaux.
Le pouvoir accuse les insurgés, acculés par les combats, d’avoir empoisonné les réserves qui desservent Damas en y jetant du diesel. Mais pour les rebelles, qui contrôlent la zone rurale de Wadi Barada depuis 2012, ce sont les forces prorégime qui ont bombardé les infrastructures hydrauliques et sont responsables des privations. Qui a raison ? » Ce qui intéresse les habitants de Damas, c’est qu’un retour à la normale soit possible « , soupire Anas.
L’ONU se garde de désigner un coupable. » Il y a beaucoup d’allégations. Nous ne savons pas vraiment, car nous n’avons pas pu nous rendre sur place « , déclarait il y a quelques jours Jan Egeland, conseiller pour les affaires humanitaires de l’envoyé spécial de l’ONU sur la Syrie. Tout en rappelant quelques fondamentaux du droit international humanitaire : » Le sabotage et la privation d’eau sont évidemment un crime de guerre « , alors qu’ils plongent les civils dans la détresse.
La crise à Damas frappe par son ampleur : elle touche près de 5,5 millions de personnes, dans la capitale et ses environs. Mais c’est loin d’être la première fois que l’eau se retrouve au cœur du conflit dans le pays, depuis 2011.
Dans de nombreuses régions, l’accès à cette ressource est défaillant : la destruction des infrastructures a réduit de moitié la capacité de production dans le pays. A Damas, l’afflux de nombreux déplacés a provoqué une pression supplémentaire. L’eau a aussi été utilisée comme arme de guerre, à Alep par exemple, de part et d’autre de la ligne de front, au détriment des civils. Avant les derniers mois de la violente offensive des forces prorégime pour reprendre les quartiers rebelles, des négociations avaient permis des arrangements ponctuels durant la longue guerre d’Alep.
A Damas, un accord tacite a longtemps prévalu entre les rebelles du Wadi Barada et le régime : pas d’assaut contre la zone insurgée, pas de coupures d’eau dans la capitale. Cet équilibre a toutefois été brisé à plusieurs reprises par les combattants anti-Assad, soit pour prévenir une attaque, soit pour négocier. Avant un retour à la normale.
Négociations
Cette fois, la crise semble devoir durer tant que les combats se poursuivront dans la région de Wadi Barada, prise en étau entre l’armée syrienne et le Hezbollah libanais. Depuis vendredi 6 janvier, les annonces de visites d’équipes techniques mandatées par Damas, pour réparer les installations sur place, se sont succédé. Mais l’accès à cette poche, située à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Damas, est impossible à cause de la violence des affrontements.Près de 10 000 personnes ont fui l’enclave rebelle. Selon une source onusienne, des négociations se sont poursuivies, lundi, entre belligérants, pour » permettre la maintenance des infrastructures et parvenir à un accord dans la zone « .
Dans un entretien à des médias français qui accompagnaient la visite de parlementaires en Syrie le week-end du 7 janvier, le président Bachar Al-Assad a exclu l’idée d’une trêve : » Le rôle de l’armée syrienne est de libérer ce secteur afin d’empêcher les terroristes d’user de – l’arme de – l’eau pour faire suffoquer la capitale. » Alors que l’opposition dénonce des violations de la trêve, l’armée justifie la poursuite de l’offensive, malgré le cessez-le-feu, par la présence de combattants du Front Fatah Al-Cham (ex-Front Al-Nosra, émanation d’Al-Qaida),qui ne sont pas concernés par la trêve. Une présence démentie par les rebelles, mais dont fait état l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
Pour le pouvoir, l’enjeu n’est pas seulement de sécuriser les sources d’eau qui alimentent la capitale, mais de venir à bout des poches rebelles autour de Damas. Un objectif que le régime est d’autant plus déterminé à atteindre qu’il est en position de force depuis la reconquête d’Alep, le 22 décembre, et que de nouvelles négociations doivent s’ouvrir à Astana, au Kazakhstan, parrainées par Moscou et Ankara.
Laure Stephan