Le président russe Vladimir Poutine tentait lundi de lever les réticences de son homologue turc Recep Tayyip Erdogan concernant l’offensive que compte lancer le régime de Bachar al-Assad, avec l’aide de l’armée russe, à Idleb, dernier bastion rebelle de Syrie.
La rencontre entre les deux chefs d’Etat, dont les pays sont des acteurs-clefs du conflit syrien, a commencé peu avant 12H00 GMT dans la station balnéaire de Sotchi, sur la mer Noire.
Elle intervient moins de deux semaines après leur sommet avec le président iranien Hassan Rohani à Téhéran, où leurs divergences étaient apparues au grand jour, poussant la Russie à repousser l’offensive d’Idleb pour éviter une rupture avec Ankara.
« Nous avons beaucoup de sujets à discuter et certains d’entre eux sont difficiles », a déclaré M. Poutine, en accueillant son homologue turc à Sotchi. « Je suis ravi de vous voir non seulement pour échanger nos avis, mais aussi pour chercher des solutions là où elles n’ont pas encore été trouvées », a-t-il souligné.
Pour sa part, M. Erdogan a estimé que cette rencontre se solderait par une déclaration incarnant « un nouvel espoir » pour la région, sans plus de précisions.
Plus fidèle allié de Bachar al-Assad, la Russie semble pressée d’en finir avec la rébellion syrienne et était le plus fervent avocat d’un assaut d’ampleur sur Idleb lors du sommet de Téhéran.
Si la Turquie soutient pour sa part les rebelles syriens, la province d’Idleb est contrôlée à 60% par le groupe jihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS), composé notamment de l’ex-branche d’Al-Qaïda en Syrie et considéré comme un groupe « terroriste » par Ankara.
« La situation est tendue avec Idleb », a reconnu lundi le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, cité par l’agence de presse russe Ria Novosti, évoquant des « différences d’approche » entre les deux pays sur le sort de ce dernier fief de l’opposition armée au président Bachar al-Assad.
Depuis le sommet de Téhéran, d’intenses tractations ont donc eu lieu entre Turcs et Russes pour tenter de parvenir à un compromis, l’objectif principal pour Ankara étant de parvenir à neutraliser le HTS tout en évitant le lancement d’une vaste offensive.
– Diminution des bombardements –
L’enjeu est double pour la Turquie : Ankara veut d’une part éviter un nouvel afflux de réfugiés syriens provoqué par une offensive d’envergure, alors que le pays a déjà accueilli plus de trois millions de Syriens depuis le début du conflit.
D’autre part, la Turquie s’inquiète du sort de centaines de soldats turcs déployés dans douze postes d’observation établis à Idleb pour veiller au respect de la « désescalade » mise en place par le processus d’Astana, entamé en janvier 2017, ainsi que des groupes de rebelles syriens « modérés » qu’elle soutient.
Dimanche, la Turquie a envoyé des renforts militaires, composés essentiellement de chars et d’autres équipements militaires, vers l’un de ses postes d’observation dans la province d’Idleb, selon le quotidien Hürriyet.
Début septembre, le régime de Damas et l’aviation russe avaient multiplié les bombardements sur Idleb pendant plusieurs jours, mais les frappes ont diminué d’intensité la semaine dernière.
« Ce qu’on présente en ce moment comme le début d’une offensive des forces syriennes soutenue par la Russie n’est pas une représentation fidèle des faits », a déclaré la semaine dernière le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, à l’occasion d’une visite à Berlin.
« Nous travaillons activement avec nos partenaires turcs pour régler la situation à Idleb », a-t-il ajouté, précisant que la Russie fera tout « pour s’assurer que la population civile ne souffre pas ».
La Syrie est déchirée depuis 2011 par une guerre qui a fait plus de 360.000 morts. L’intervention en septembre 2015 de l’armée russe aux côtés du régime syrien a changé le cours de la guerre et permis au régime de remporter d’importantes victoires militaires.
La Charte des Nations unies a une nouvelle fois été bafouée.
Sans aucune décision du Conseil de sécurité, donc sans mandat de l’ONU, les États-Unis en tête, la Grande-Bretagne et la France ont frappé la Syrie dans la nuit de vendredi à samedi, les 13 et 14 avril dernier en guise de représailles aux « présumées attaques chimiques sur Douma ».
Alors que l’OIAC devait lancer ses investigations en vue de vérifier la présence de gaz toxique le 14 avril, manifestemen,t sans aucune preuve de l’origine de ces attaques chimiques, la France a embrayé le pas pour participer aux frappes punitives contre la Syrie, État indépendant, membre des Nations Unies.
L’AFS, qui se bat depuis le début du conflit syrien pour préserver l’amitié séculaire entre la France et la Syrie, entre les Français et les Syriens et pour instiller un esprit de médiation dans cette horrible guerre voit ses ambitions ruinées par de tels actes.
Alors que la France pourrait se démarquer de la logique guerrière des États-Unis, pour jouer un rôle capital en faveur du peuple syrien, en ouvrant une antenne consulaire dédiée à nos compatriotes doubles nationaux ou pas et en prenant l’initiative de faire lever l’embargo sur les produits de 1re nécessité, afin de montrer que la France est aux côtés du peuple syrien qui souffre tellement après plus de 7 ans de guerre, les armes ont pris le dessus.
L’AFS ne peut que condamner une telle violation du droit international et souhaite ardemment un retour fort et immédiat aux principes qui ont été institués par la Charte des Nations Unies.
Elle appelle au retour de la France vers une politique humanitaire en Syrie en faveur du peuple syrien qui se comporte d’une manière admirable dans ce drame qui n’en finit pas.
La politique sans conscience n’est que ruine de l’âme.
ARTICLE SÉLECTIONNÉ DANS LA MATINALE DU 13/11/2017
édition abonné Le Monde
En Syrie par temps de guerre 1|3. Dans une série de trois articles, « Le Monde » évoque la vie quotidienne dans la capitale syrienne, où la population veut croire à la fin de la guerre et des privations.
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Laure Stephan (Damas, envoyée spéciale)
Ce reportage a été réalisé à la mi-septembre en présence d’un jeune employé du ministère de l’information, comme c’est la règle pour la plupart des journalistes étrangers amenés à séjourner en Syrie dans les zones sous contrôle gouvernemental.
En contrebas de la grande mosquée des Omeyyades, la terrasse du café Al-Nawfara, que l’on dit être le plus ancien de Damas, ne désemplit pas. Des jeunes fument le narguilé, pianotent sur leurs smartphones, boivent un café. Plus à l’est dans la vieille ville, vers Bab Touma, l’une des sept anciennes portes de la ville, des adolescents en uniforme scolaire bavardent et rient, en petits groupes. C’est la mi-journée, les classes viennent tout juste de se terminer. Au loin, des bombardements se font entendre, sporadiques, puis plus fréquents.
Visage impassible, une mère marche main dans la main avec son enfant, des écoliers montent dans le minibus qui les ramène chez eux. Aucun des hommes assis devant une petite boutique voisine de l’école ne tourne le regard vers le lieu des frappes. « Cela fait si longtemps, nous nous sommes habitués » ; « c’est loin » ; « les temps ont été bien plus difficiles, aujourd’hui ce n’est rien», nous confieront les Syriens croisés au cours de ce séjour d’une semaine à Damas.
Les bruits d’artillerie, isolés mais quotidiens, proviennent de la Ghouta orientale, une vaste enclave rebelle en lisière de la capitale syrienne, mais plus personne ne s’en inquiète vraiment. Porte d’entrée, le quartier de Jobar, dont le contrôle reste disputé entre le régime et les combattants anti-Assad, se trouve à moins d’un kilomètre des faubourgs est de la vieille ville. Les frappesdes forces progouvernementales et les combats ont baissé d’intensité depuis qu’un processus de « désescalade » a été mis en place en juillet par la Russie, dans la Ghouta orientale. La trêve exclut les djihadistes de l’ex-Front Al-Nosra, lié à Al-Qaida. En septembre, un regain de violence a été enregistré dans cette zone, l’un des derniers fiefs rebelles de la région.
Les habitants sont conscients de leur « chance »
Si les tirs d’obus sur la ville sont moins fréquents, la menace demeure bien présente. A plusieurs reprises, durant notre séjour, plusieurs s’abattront sur des secteurs sous contrôle loyaliste. Un matin, un quotidien gouvernemental annonce un mort et plusieurs blessés dans le quartier de Douela, en attribuant les tirs aux « terroristes » de la Ghouta orientale. Si ces tirs entretiennent un sentiment de vulnérabilité chez les Damascènes, leur peur n’a rien à voir avec celle qu’ils ont connue dans les années 2013-2015, lorsqu’ils pouvaient à tout moment périr sous un obus de mortier. Damas se sent-elle encore une ville en guerre ? « C’est plutôt la capitale d’un pays en guerre », juge Abou Qassem, un commerçant loyaliste.
Les habitants ont conscience de leur « chance » par rapport à ceux d’Homs ou d’Alep, meurtries par les combats. Mais, derrière la normalité apparente du trafic automobile et des magasinsouverts, le conflit demeure omniprésent, que ce soit au travers du fracas intermittent des explosions, ou des barrages militaires. « Ils sont bien moins nombreux », souligne pourtant unhabitant, en décrivant les embouteillages de l’année passée. Des checkpoints quadrillent toujours les abords de la capitale, ses principaux axes, ainsi que les entrées des divers quartiers.
Des photos du président Bachar Al-Assad, en civil ou en tenue militaire, les mêmes que celles qui ornent les commerces, y sont affichées, parfois aussi des posters glorifiant l’armée. Un chauffeur de taxi se lamente de l’attente causée par le contrôle des papiers d’identité ou des véhicules ; il essaie d’emprunter la « file militaire » avant de se faire éjecter par un garde. En quelques jours, le rituel devient vite familier : deux coups secs donnés par l’homme en uniforme sur le coffre de la voiture ; après inspection, c’est le feu vert pour reprendre la route.
Une amélioration de la sécurité
A l’un de ces barrages, près de l’enclave de la Ghouta, deux pick-up chargés de combattants en treillis passent en trombe. Sur un mur, on peut lire ce slogan sans équivoque : « Assad ou personne ». En longeant les abords de Jobar se dressent bientôt des immeubles éventrés, aux façades noircies par les flammes, un infime indice du niveau de destruction à l’intérieur de la zone insurgée, pilonnée depuis des années par les aviations syrienne et russe. Les récits des nombreux déplacés ayant fui le secteur viennent rappeler la violence des combats. S’ils ne sont plus retournés sur place, ils ont appris, d’une manière ou d’une autre, que leur maison était désormais à terre.Mais c’est une réalité parallèle, un autre monde, à la fois proche et lointain.Collé à Jobar, un marché aux légumes continue de fonctionner côté loyaliste.
Damas a changé. Des places ont été rabotées, des rues interdites, des rangées de blocs de béton entourent ministères et administrations militaires. Il faut dire que plusieurs attentats majeurs ont secoué la ville depuis 2011. Le dernier en date, le 11 octobre, a fait deux morts et six blessés selon un bilan officiel : trois kamikazes ont tenté d’assaillir le quartier général du commandement de la police. Pris sous le feu des gardes en faction, ils se sont fait exploser avant de pénétrer dans le bâtiment.
LE COÛT DES LOGEMENTS A BONDI. CELUI DES TRANSPORTS AUSSI. CÔTÉ NOURRITURE, TOUT A DÉCUPLÉ
Quelques jours plus tôt, le 2 octobre, un autre attentat avait visé un commissariat de police du quartier de Midane, faisant au moins dix-sept morts, en majorité des membres des services de sécurité. L’attaque a été revendiquée par l’organisation Etat islamique, encore présente à Yarmouk, un faubourg occupé autrefois par un camp palestinien. Au pic du conflit, il y avait même des enlèvements en ville. « Mais la sécurité s’est améliorée », assure-t-on avec soulagement, comme pour conjurer le passé.
Les Damascènes parlent bien plus volontiers, et plus spontanément, de leurs difficultés quotidiennes à joindre les deux bouts. Le salaire mensuel moyentourne autour de 30 000 livres syriennes (environ 49 euros). Le coût des logements a bondi. Celui des transports aussi. Côté nourriture, tout a décuplé. « Chaque classe sociale est descendue d’un étage, constate un employé d’une association caritative du quartier de Midane. La classe moyenne s’est appauvrie, et les pauvres sont encore plus pauvres. » Il note toutefois un léger mieux : son association a suspendu, à la fin de l’été, l’aide d’urgence, qui consistait à distribuer des repas aux indigents.
80 % des Syriens sous le seuil de pauvreté selon l’ONU
Situé dans le sud de Damas, Midane est connu pour les pâtisseries orientales de sa rue commerçante. Classes moyenne et populaire se côtoient dans cette partie de la ville où les maisons sont basses, et les mosquées d’époque mamelouke ou ottomane. Le soir, dans une odeur de fleur d’oranger et de sucre, les gourmands y dégustent des gâteaux. Mais les commerçants se plaignent : d’après eux, les affaires tournent au ralenti. Pour beaucoup de Syriens, la vie demeure un combat, un défi au jour le jour qui oblige à se contenter du minimum. « Avant la crise, chaque famille de Midane pouvait se permettre 2 kilos de viande par semaine. Par les temps qui courent, c’est bien si un foyer parvient à acheter un kilo par mois », résume l’employé humanitaire.
Selon l’ONU, plus de 80 % des Syriens vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, contre 28 % avant le conflit. Samira Badawiyé, 53 ans, en fait partie. La maison dans laquelle elle vit, près d’un marché aux légumes, surprend par son état de délabrement. Elle a pourtant dû avoir du cachet, cette demeure ancienne… Ses vitres sont cassées, ses murs décrépis, l’ensemble semble pouvoir s’effondrer à tout moment. Au premier étage, du linge pend aux fenêtres. C’est là que vit cette mère de quatre enfants. Elle a fini par trouver refuge dans cet appartement qui appartenait à ses parents.
ABANDONNÉE PAR SON MARI AU DÉBUT DE LA GUERRE, SAMIRA TENTE DE SURVIVRE EN S’ENDETTANT ET REMBOURSE SES DETTES AVEC CE QUE GAGNE SON FILS DE 19 ANS
En juillet 2012, ce mois où la rébellion a semblé sur le point de percer vers le centre de la capitale, elle s’était enfuie du quartier de Yarmouk, théâtre de violents affrontements. « J’ai passé une année à avoir peur la nuit pour mes enfants, raconte-t-elle. Il y avait des bombardements sur les quartiers voisins. A l’été 2012, on entendait que l’Armée [syrienne]libre allait attaquer. Daech [l’acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] n’existait pas encore. » Le groupe djihadiste, qui s’est emparé de la majorité du camp de Yarmouk en 2015, y est toujours présent, et Samira Badawiyé ne veut plus y remettre les pieds. Tout cela, pour elle, c’est du passé : « Les gens disent que tout le quartier où l’on vivait a été détruit. »
Abandonnée par son mari au début de la guerre, elle tente de survivre en s’endettant et rembourse ses dettes avec ce que gagne son fils de 19 ans, tailleur occasionnel. Il a quitté l’école et, même si la paix venait demain, il ne reprendrait pas les cours. « Il est le seul homme, insiste Samira. Il faut bien qu’on vive. » A la dernière rentrée scolaire, elle a hésité à inscrire ses deux cadettes, faute d’argent pour les fournitures. « Et puis je me suis dit : peut-être qu’elles deviendront fonctionnaires plus tard. Alors, je les ai tout de même inscrites. »
Malgré le dénuement dans lequel elle survit, Samira s’efforce de bien recevoir ses hôtes. Elle prépare un café en louant la générosité de ses voisins. Dans le salon, un baby case est posé par terre, celui de sa petite-fille, née voici quelques mois, qui dort à poings fermés. Le mari de sa fille aînée est soldat démineur, il a droit chaque mois à une permission de trois jours. « Il a déjà été blessé cinq fois », se désole-t-elle.Aux dernières nouvelles, il a été envoyé sur le front d’Idlib,dans le nord du pays, où les armes continuent de se déchaîner.
La société est composée de très riches et de très pauvres
Dans la rue, près d’étals de tomates, d’aubergines ou de gombos, Mayada Ayoub, 47 ans, décrit, elle aussi, un quotidien de privations. A l’entendre, la société est « désormais composée de très riches et de pauvres ». Elle-même s’en sort grâce à l’argent envoyé par ses deux filles parties en Allemagne, l’une avant la guerre, l’autre après. Son mari, combattant d’une faction palestinienne à Yarmouk, est décédé. Mayada Ayoub met un point d’honneur à aider également sa nièce, malade, et ses neveux, pour les dépenses scolaires et sanitaires. Dans un sachet, elle montre des médicaments achetés à la pharmacie. « Ils viennent d’Iran, confie-t-elle, on m’a dit que c’était bien, et pas trop cher. » Derrière son comptoir, Loubna, la pharmacienne, confirme : « J’ai tout un rayon de médicaments en provenance d’Iran, dont les psychotropes et les antidouleurs. On continue à vendre de tout, mais il y a une hausse des tranquillisants et des somnifères. »
QU’ILS DÉFENDENT LE POUVOIR OU LE CRITIQUENT, LA PLUPART DESINTERLOCUTEURS DÉPLORENT LES SANCTIONS, QUI ONT SURTOUT NUI À LA POPULATION
Avant le conflit, la Syrie disposait d’une importante industrie pharmaceutique. Depuis, de nombreuses usines ont été détruites ou endommagées, et la production entravée par les difficultés à importer les matières premières, en raison des sanctions américaines et européennessur les transferts financiers. Les Syriens ont dû composer avec les pénuries de médicaments. Ceux de fabrication occidentale restent chers. D’autres, trafiqués en contrebande, sont dangereux.
Qu’ils défendent le pouvoir ou le critiquent, la plupart desinterlocuteurs déplorent ces sanctions. Censées punir le régime, pour sa répression des manifestations des premiers mois de la révolte en 2011, et affaiblir le pouvoir, elles ont surtout nui à la population, première victime de l’inflation et des pénuries. C’est aussi le point de vue de plusieurs organisations humanitaires internationales présentes en Syrie. D’autant que les profiteurs de guerre ont réalisé, eux, de juteux bénéfices grâce à la contrebande et au marché noir.
Sur les étagères de la pharmacie de Loubna, on trouve aussi des boîtes de lait pour enfants, ainsi que des paquets de couches fabriquées en Syrie. Des produits déjà coûteux en temps ordinaire. Loubna connaît des mères obligées de diminuer la quantité de lait donnée aux enfants, ou de le remplacer par du riz et de l’eau. Certains parents, pour faire face aux difficultés économiques, multiplient les métiers. Ainsi, de nombreux chauffeurs de taxi travaillent en pantalon de treillis : ce sont des soldats qui profitent des périodes de permission pour gagner un peu d’argent. « La solde n’est pas assez bonne, il faut bien que je fasse vivre ma famille », explique l’un d’eux. Lorsqu’il n’est pas au volant de son vieux taxi jaune, il se bat dans la région de Palmyre.
Une reprise économique attendue
D’un bout à l’autre de Damas, la guerre a fait voler en éclats les habitudes. Elle a tout envahi, même les squares : dans les boutiques de jouets, au milieu des ballons et des poupées, on vend des panoplies en plastique avec arme, gilet pare-balles et casque. « La vie continue », vous répète-t-on, mais l’incertitude du lendemain est devenue le lot commun, et il faut apprendre à faire comme si… « On vient au bureau d’un pas affairé, témoigne un entrepreneur, comme si on était débordés, alors qu’on ne travaille peut-être qu’une heure ou deux. Mais on en a besoin, pas seulement financièrement, mais pour continuer, pour le moral. » L’une de ses usines, dans les environs de Damas, est en ruine. Prudent, il dit sentir venir, depuis la reprise des quartiers rebelles d’Alep par les forces progouvernementales, en décembre 2016, le « début de la fin [de la guerre] ».
Mohammed Ghassan Al-Qallaa, président de la chambre de commerce de Damas et responsable de la fédération des chambres de commerce syriennes, ne donne pas de chiffres sur les dégâts subis par son secteur. Il s’en tient à des généralités, soulignant à quel point toute l’activité économique a été touchée. « Les régions industrielles ont été bombardées, des usines vendues en pièces détachées. » Commerçants et industriels ont également souffert des sanctions.« Mais les Syriens sont inventifs, ajoute-t-il. On trouve tout sur le marché. Prenez l’électroménager, ça se faisait déjà avant la crise, mais la pratique a augmenté : on importe les moteurs et on fabrique sur place. »
LA TENUE DE LA FOIRE INTERNATIONALE DE DAMAS CET ÉTÉ LAISSE ENTREVOIR UN FRÉMISSEMENT, MAIS PAS ENCORE LA FIN DE LA GUERRE
La « crise » est l’un des mots qu’il utilise, au même titre que les « événements », pour décrire la situation du pays depuis 2011. M. Al-Qallaa énumère les difficultés : la production de blé qui, avant-guerre, garantissait à la fois l’autosuffisance et les exportations, a été divisée par quatre ; les entrepreneurs contraints de mettre la clé sous la porte ; les industriels partis après la destruction de leur usine… En fouillant dans le passé, il cherche des raisons de croire à la renaissance de la Syrie : « Durant la première guerre mondiale, il y a eu un flux d’émigration vers les Amériques. Le pays a continué. »
Les décideurs se sont réjouis de la tenue de la Foire internationale de Damas cet été. Une première depuis six ans. L’événement, présenté comme un signe du retour à la normale, a attiré des visiteurs étrangers : Russes, Chinois, Indiens, Egyptiens. Il faut y voir un frémissement, mais pas encore la fin de la guerre. « Il faudra quelques années pour que les opérations militaires se terminent. Puis la vie économique reprendra, et même mieux qu’avant », veut croire M. Al-Qallaa. Les profiteurs de guerre, enrichis grâce à toutes sortes de trafics, figureront alors en bonne place de cette reprise. Qui sont-ils ? Des « privilégiés », des « nouveaux riches », dit-on, sans avancer de nom, en affirmant volontiers que « tout le monde les connaît ». « Le plus important pour l’économie, ce n’est pas la source de l’argent, mais le fait qu’il ne reste pas dans des coffres et circule », dit M. Al-Qallaa.
A quelques rues de là, Sonia Khandji Cachecho, chef d’entreprise et membre du conseil d’administration de la chambre de commerce de Damas, ne cache pas son émotion lorsque nous la rencontrons, dans son bureau en rez-de-chaussée. L’une de ses proches a été tuée par une roquette aux abords de la Foire internationale. Tout en exprimant sans détour son dégoût pour ceux qui se sont enrichis sur le dos des autres, elle se veut pragmatique : « C’est le lot de toute guerre »,assure-t-elle.Le sort subi par certains professionnels la met en colère: « Les petits entrepreneurs se sont appauvris, ils sont sortis du jeu, ont choisi l’exil, non pas pour des raisons politiques, mais parce qu’ils ne possèdent plus rien, parce qu’on leur a tout détruit. Leurs espoirs, leurs possessions, leur histoire familiale. » Si l’idée de partir lui a traversé l’esprit, elle a fini par l’écarter. « Il reste une vie solidaire ici, malgré toute cette guerre qui a détruit beaucoup de l’âme des Syriens. »
Des jeunes dandys en terrasse
Le soir, l’animation ne faiblit pas dans le quartier d’Al-Hboubi. Le long d’un axe commercial, les passants flânent devant les vitrines de boutiques d’habillement. Dans d’autres rues alentour, les volets de petits immeubles aux entrées fleuries de bougainvilliers et de jasmins, restent fermés. Aucune lumière n’en filtre. Leurs habitants ont-ils quitté les lieux ? Damas est devenu le carrefour d’un vaste chassé-croisé, entre exilés (5 millions de Syriens ont fui le pays) et déplacés (6 millions sur l’ensemble du pays).
UN 4 × 4 RUTILANT FREINE DEVANT L’UN DE CES ENDROITS À LA MODE, INACCESSIBLES POUR UNE MAJORITÉ DE SYRIENS. QUI SONT-ILS ? QUE LEUR VAUT CE PRIVILÈGE ?
De jeunes dandys se retrouvent sur une place, des filles rient en les dévisageant. Les terrasses des cafés branchés sont bondées, on fume le narguilé, on boit du café. Un 4 × 4 rutilant freine devant l’un de ces endroits à la mode, inaccessibles pour une majorité de Syriens. Un chauffeur en pantalon de treillis en descend pour ouvrir la porte aux passagers. Qui sont-ils ? Que leur vaut ce privilège ? La clientèle s’anime alors que les écrans transmettent un match de football. Autant de moments volés à la morosité et à la dévastation. Une affiche célèbre les « Aigles de Qassioun », l’équipe nationale, qui a finalement raté de peu la qualification pour le Mondial de 2018.
Au restaurant Naranj, table réputée de la vieille ville, deux enfants s’installent sur la terrasse pour épier la noce dans la douceur du soir : la mariée, une couronne posée sur ses longs cheveux, danse entourée des invités, au rythme d’une musique enivrante. Autrefois, ce restaurant était l’une des adresses favorites de Bachar Al-Assad. Malgré la guerre, l’endroit n’a jamais fermé ses portes. « Au plus fort de la crise, les mariages se faisaient dans l’après-midi », se souvient le père Youssef, chargé d’enregistrer les mariages au patriarcat orthodoxe. « Depuis quelques mois, nous accueillons plus de mariages ou d’anniversaires, confirme Mirna Meda, gérante d’un hôtel voisin, le Beit Zaman. Les gens ont envie de vivre des moments de joie. »
L’établissement, lui aussi, est toujours resté ouvert. Les touristes d’avant la guerre ont été remplacés par des journalistes, des employés d’ONG… « On a pesé le pour et le contre, se souvient la gérante. Et puis on a décidé de continuer. C’était une manière de garder espoir et de résister. » Peu importe que des employés soient partis, que sa fille ait émigré en Allemagne… Mirna Meda est restée avec son fils. A ses heures libres, elle photographie pour son aînée les rues de Damas. Quand les bombardements font trembler les vitres qui donnent sur le patio de l’hôtel, elle ne s’en émeut même pas. Sa conviction est faite : si la bataille de la Ghouta orientale finit, « la vie sera plus facile : plus de travail, moins de barrages, la peur qui s’éloigne ».
Des futures mariées au souk de la soie
A l’autre extrémité de la vieille ville, au souk de la soie, une robe de mariée est présentée sur un mannequin à l’entrée d’une impasse. « On vit dans la crise et dans la guerre, mais malgré cela, tout continue. C’est le génie syrien : la capacité d’adaptation », assure le vendeur, Mohamed Ghanem Geha. Dans sa vie d’avant, M. Geha travaillait en Libye. Il a quitté ce pays en 2011, quand une partie la population a commencé à se soulever contre le régime du colonel Kadhafi, puis il s’est lancé dans la mécanique auto, à Jobar. Ensuite, il a fui les combats pour se rendre en zone loyaliste et changer de métier. Le voici maintenant qui montre des modèles de robes blanches pour les mariées, ou de couleur pour les fiancées.Les tenues sont à vendre, ou à louer si l’argent manque. Il arrive à M. Geha d’habiller des jeunes femmes qui célèbrent leurs noces seules avec les deux familles, avant de rejoindre leur mari à l’étranger.
« Avant la guerre les mariages réunissaient les familles pendant trois ou quatre jours. Maintenant, chacun est dans sa région, c’est impossible »
Doha
« C’est une chance de se marier, car il n’y a pas de travail et beaucoup d’hommes manquent », assure Riham, sidérée par les prix de la lingerie et des chaussures à talon. Cette jeune fille de 20 ans fait les magasins avec sa mère. Elles ont prévu de louer une salle pour le mariage. Plus loin, une autre cliente, une étudiante de 23 ans prénommée Doha, compte les jours avant son propre mariage, organisé à Jaramana, une banlieue de la capitale. En attendant, trois femmes voilées l’accompagnent pour choisir sa robe : sa mère, sa belle-mère et une tante. Toutes trois contemplent les modèles présentés par le vendeur.
Doha aurait aimé acheter une robe rien qu’à elle, du genre unique, « que personne d’autre n’a portée et que personne d’autre ne portera jamais ». Mais sa famille n’a pas les moyens de la lui offrir, il faudra donc la louer. En tout, les deux familles débourseront 900 000 livres syriennes (1 500 euros) pour cette cérémonie, soit trente fois le salaire moyen. Et encore, avoue la belle-mère, la liste des invités a été restreinte aux intimes. « Avant la guerre, explique-t-elle, les mariages réunissaient les familles pendant trois ou quatre jours. Maintenant, chacun est dans sa région, c’est impossible de penser organiser de telles festivités. » La cérémonie sera tout de même filmée pour être partagée avec les proches en exil. « Ce sera un moment de joie et de souvenir, dit-elle. Dans chaque maison, il y a des émigrés, des disparus ou des morts. » C’est ainsi : à Damas, les fantômes des absents s’invitent partout, même aux mariages des vivants.
L’Arabie saoudite a prévu d’accueillir la semaine prochaine à Ryad une conférence qualifiée d' »élargie » de l’opposition syrienne afin d’unifier les différents courants avant des négociations de paix sous l’égide de l’Onu, indique l’agence saoudienne de presse SPA, lundi.
Les discussions prévues du 22 au 24 novembre visent « à réunir les partis et plates-formes (de l’opposition) et à unifier leur délégation de négociateurs pour relancer les pourparlers directs sous les auspices de l’Onu à Genève », indique SPA.
Le royaume saoudien soutient un rassemblement de personnalités de l’opposition réunies au sein du Haut comité pour les négociations (HCN) présidé par Riyad Hidjab, ancien Premier ministre de Bachar al Assad.
Le HCN représentait l’opposition syrienne lors des discussions organisées à Genève par les Nations unies.
Plusieurs autres groupes politiques d’opposition sont soutenus par d’autres pays comme la Russie ou l’Egypte.
L’agence SPA ne précise pas quelles sont les formations opposées au régime d’Assad qui seront présentes lors de cette conférence.
Le gouvernement saoudien est favorable à la conclusion d’un accord international sur l’avenir de la Syrie mais soutient qu’Assad ne peut pas jouer un rôle dans la transition qui doit mener à la fin de la guerre.
Plusieurs sessions de négociations sous médiation de l’Onu n’ont abouti qu’à de maigres progrès.
L’armée syrienne a repris le contrôle total de la ville orientale de Deir ez-Zor, la plus importante de l’est du pays.
L’EI s’était emparé de la quasi-totalité de Deir ez-Zor et de sa province riche en pétrole en 2014. L’armée syrienne avait pu en libérer certains quartiers assiégés en septembre.
Les tranchées creusées par les jihadistes étaient encore visibles. Vendredi, des unités d’ingénierie au sein de l’armée s’employaient à désamorcer les mines et autres engins explosifs laissés par les combattants de l’EI, selon la télévision d’Etat.
La perte de la ville de Deir ez-Zor est un nouveau coup dur pour l’EI, qui a subi une série de revers ces dernières semaines en Syrie et en Irak voisin.
Le groupe ultra-radical ne tient plus aujourd’hui que 35% de la province de la Deir ez-Zor et s’est retranché dans une ville de moindre importance, Boukamal, à la frontière irakienne. Les forces du régime syrien sont désormais à 40 km de Boukamal.
L’EI contrôle encore des villages et localités et au moins un champ pétrolier dans la Syrie en guerre, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
Ces derniers mois, les jihadistes ont été chassés des grandes villes qu’ils contrôlaient, sous le coup de multiples offensives: par les forces irakiennes à Mossoul (nord de l’Irak) en juillet, et par une coalition kurdo-arabe syrienne soutenue par Washington à Raqa en Syrie, au mois d’octobre.
Des enfants jouent dans une rue d’al-Qaryatain, récemment reprise aux jihadistes de l’EI, le 22 octobre 2017 en Syrie (afp)
Le groupe Etat islamique (EI) a été accusé lundi d’avoir « exécuté au moins 116 civils » dans une ville du centre de la Syrie avant d’en être chassé, les jihadistes ne contrôlant plus qu’un territoire restreint dans ce pays en guerre.
Cible de multiples offensives, l’EI subit depuis des mois revers après revers en Syrie et en Irak voisin. Il vient d’être chassé par une alliance de combattants kurdes et arabes de Raqa, son ancienne « capitale » de facto en Syrie et voit s’écrouler son « califat » autoproclamé sur les régions conquises en 2014.
Le groupe ultraradical, qui s’est fait connaître pour ses exactions souvent mises en scène de manière spectaculaire, conserve toutefois sa capacité à riposter de manière meurtrière, par des exécutions ou des attentats à travers le monde.
« Durant les 20 jours où il a contrôlé al-Qaryatayne, l’EI a exécuté au moins 116 civils (…), après les avoir accusés de collaboration avec les troupes du régime », a indiqué lundi à l’AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Cette localité de la province de Homs a été reprise samedi aux jihadistes par les forces du régime de Bachar al-Assad.
Selon M. Abdel Rahmane, les cadavres ont été « trouvés dans les rues, les maisons et à d’autres endroits » par des habitants de retour dans leur ville.
« Certains ont été tués à l’arme blanche, d’autres par balle », a ajouté le directeur de l’OSDH.
D’après ses sources, la plupart des victimes ont été tuées au cours des deux jours précédant la débâcle de l’EI à al-Qaryatayne.
L’agence officielle Sana a publié lundi des images tournées dans la ville, montrant un hôpital saccagé et en partie incendié, ainsi que des routes recouvertes de gravats.
Le gouverneur de la province de Homs, Talal Barazai, apparaît sur la vidéo remerciant les habitants pour leur « ténacité » face à l’EI et s’engageant à rester à leur côté. Des dizaines de personnes faisaient la queue pour recevoir de l’aide humanitaire distribuée par le Croissant rouge syrien.
L’EI avait capturée al-Qaryatayne une première fois en août 2015 avant d’en être chassé moins d’un an plus tard. Puis, le 1er octobre, les jihadistes s’étaient à nouveau emparé de cette ville qui compte une minorité chrétienne et plusieurs églises, dont certaines ont été saccagées.
Le régime a pris le contrôle de la ville samedi, « après le retrait de plus de 200 membres de l’EI en direction de la Badiya », le grand désert du centre syrien, selon l’OSDH.
Avec la récente perte de Raqa, le dernier bastion urbain de l’EI en Syrie est la ville de Boukamal, située à la frontière de l’Irak, dans la province de Deir Ezzor (est). Cette région pétrolière était quasi totalement entre les mains de l’organisation extrémiste il y a encore quelques mois, mais les jihadistes n’en contrôlent plus que 40% aujourd’hui.
Des combats s’y poursuivent, et l’EI se trouve confronté à deux offensives distinctes: l’une menée par le régime syrien et son allié russe, l’autre par l’alliance arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS), appuyée par les Etats-Unis.
Toujours dans la province de Deir Ezzor, l’EI contrôle par ailleurs, selon l’OSDH, quelque 8% de la capitale éponyme, soit une poignée de quartiers de cette cité qui comptait initialement plus de 100.000 habitants.
Dans tous les territoires dont il s’était emparé en 2014, l’EI a mené les pires exactions, orchestrant exécutions de masse, décapitations et autres atrocités.
En décembre 2014, les corps de 230 personnes exécutées par l’EI sont découverts par leurs proches dans une fosse commune dans la province de Deir Ezzor. En juin 2015, les jihadistes ont tué en trois jours plus de 200 civils, dont des femmes et des enfants, dans la ville de Kobané (nord), avant d’être repoussés par des forces kurdes.
En Irak, les jihadistes font subir à la minorité kurdophone yazidie des traitements particulièrement cruels, exécutant des hommes et réduisant des femmes à l’état d’esclaves sexuelles. L’ONU estime que les attaques de l’EI contre cette communauté « pourraient constituer un génocide ».
AFS: Est-ce le début d’un infléchissement de la politique de la France en Syrie?
» Nous souhaitons construire une solution diplomatique inclusive dans la région qui permette cette stabilité ». a déclaré le Président Emmanuel Macron.
Le président Emmanuel Macron et le roi de Jordanie Abdallah II (g), lors d’une rencontre à l’Elysée, le 19 juin 2017 à Paris (afp)
Emmanuel Macron et le roi de Jordanie Abdallah II ont souligné lundi leur « vision commune sur les défis du Moyen-Orient », avec comme « premier sujet la lutte contre le terrorisme et la radicalisation » ainsi que la crise en Syrie.
« Je veux exprimer au roi mon admiration sur sa façon de préserver la Jordanie qui reste un pôle de stabilité dans la région, alors que des fractures nombreuses aurait pu toucher votre pays », a déclaré le président français devant la presse, à l’issue d’un entretien à l’Elysée.
« La Jordanie est un membre important de la coalition internationale contre Daech et accueille une partie de notre dispositif militaire », a-t-il rappelé. « L »engagement de la France au côté de la Jordanie restera entier dans la lutte contre le fléau terroriste ».
Quant à la crise syrienne, « nous partageons le même sentiment d’urgence de construire les moyens d’une stabilisation militaire dans le sud de la Syrie et nous souhaitons construire une solution diplomatique inclusive dans la région qui permette cette stabilité ».
« La France est fortement impliquée dans cette action diplomatique, à travers le dialogue avec plusieurs puissance de la région » ainsi que la Russie et la Turquie, a-t-il dit.
Les deux chefs d’Etat ont aussi évoqué le dossier israélo-palestinien. « Je réitère ma condamnation de l’attaque vendredi à Jérusalem mais aussi la poursuite de la colonisation qui menace une solution à deux Etats », a dit M. Macron.
Il a enfin rendu hommage au journaliste irakien tué et aux trois journalistes français blessés à Mossoul, exprimant « la solidarité de la France et du chef de l’Etat à l’égard de ces hommes et ces femmes qui font leur travail et auprès desquels nous serons constamment ».
De son côté, le roi de Jordanie a dit vouloir « continuer le partenariat stratégique » avec la France. « Les défis économiques, sécuritaires ou le terrorisme doivent nous conduire à agir ensemble dans la région ». Faute de solution, « le terrorisme va continuer à se répandre », a-t-il averti.
« C’est également dans l’intérêt de l’Europe, c’est pour cela que nous avons accordé autant d’importance à nos relations avec les pays européens et la France », a-t-il poursuivi. Le dirigeant jordanien a aussi souligné les conséquences humanitaires et économiques du flux de réfugiés syriens en Jordanie, et espéré que les investissements français en Jordanie — premier pays investisseur non-arabe dans la pays — allaient se poursuivre.
Comme nous vous l’annoncions dans nos dernières publications concernant les pourparlers de paix sur la Syrie, celles-ci demeurent difficiles, mais elles représentent la seule voie à approfondir pour arriver à apporter au peuple syrien la paix tant espérée par tous, quelles que soient les positions.
Astana (Kazakhstan) – Les pourparlers de paix pour la Syrie, sous l’égide de la Russie, de l’Iran et de la Turquie, prévus les 12 et 13 juin à Astana, ont été reportés sine die, a annoncé jeudi la diplomatie kazakhe.
Cette annonce intervient alors que l’émissaire de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, doit s’entretenir jeudi à Moscou avec le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, pour parler de la crise syrienne.
« Selon des informations tout juste fournies par les pays garants du processus de paix d’Astana, des représentants de la Russie, de la Turquie et de l’Iran poursuivront dans les prochains jours et semaines des rencontres de travail dans leurs capitales respectives, au niveau des experts« , a indiqué le porte-parole du ministère kazakh des Affaires étrangères, Anouar Jaïnakov, cité par l’agence de presse russe RIA Novosti.
Ces rencontres visent notamment à harmoniser les questions liées à la mise en place des zones de désescalade en Syrie et le renforcement du cessez-le-feu, selon lui.
Interrogé sur un report des pourparlers prévus le 12 et 13 juin dans la capitale kazakhe, M. Jaïnakov a simplement répondu à l’agence Ria Novosti: « Oui« .
Pour sa part, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a indiqué que les dates d’un nouveau round de négociations faisaient actuellement l’objet des discussions entre les organisateurs.
« Dès que les dates concrètes et le format de participation seront décidés, nous pourrons vous l’annoncer« , a-t-elle déclaré, citée par RIA Novosti.
La nouvelle séance de discussions à Astana avait été annoncée début juin par un vice-ministre russe des Affaires étrangères, Guennadi Gatilov. L’ambassadeur syrien à Moscou Riyad Haddad avait également affirmé que Damas avait reçu une invitation pour cette rencontre.
Lors des derniers pourparlers en mai, la Russie et l’Iran, alliés de Bachar al-Assad, et la Turquie, soutien des rebelles, avaient adopté un plan visant à créer des zones sécurisées pour instaurer une trêve durable dans plusieurs régions.
Une baisse marquée des combats a depuis été enregistrée dans ces zones, mais certains problèmes importants restent à négocier.
Selon cet accord, les pays garants devaient définir d’ici début juin les contours de ces zones, instaurées avec une validité initiale de six mois avec possibilité de prolongation, et décider quels pays devraient envoyer des forces sur place pour faire respecter l’accord.
Nous vous proposons un article rédigé par Caroline Galactéros, Administrateur de l’AFS, qu’elle a publié sur son blog: Bouger les lignes sur lequel vous pourrez lire ses nombreux articles.
Il apporte un éclairage remarquable sur la complexité de la situation en Syrie au plus grand préjudice du peuple syrien.
Il permet de replacer les responsabilités de chacun à leur juste niveau.
Nous la remercions pour la qualité de son travail. (AFS)
11 Mai 2017.
Signature du mémorandum établissant les zones de désescalade lors du quatrième cycle des négociations pour la paix en Syrie, à Astana, Kazakhstan, le 4 mai 2017. Aliia Raimbekova/Anadolu Agency/Getty Images.
Les 3 et 4 mai 2017 se sont tenues les quatrièmes rencontres internationales d’Astana sur la Syrieentre les délégations syrienne, russe, iranienne, turque et celle de « l’opposition armée », cette dernière étant représentée par le groupe salafiste Jaysh al-Islam. Etaient également présents l’envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie, Staffan da Mistura, et pour la première fois les États-Unis, en la personne de Stuart Jones, Secrétaire d’Etat pour les affaires proche-orientales. Dans le même temps, Vladimir Poutine recevait Recep Tayyip Erdogan à sa résidence estivale de Botcharov Routcheï à Sotchi.
Mise en place de zones de désescalade
Un memorandum mettant en place quatre « zones de désescalade » fut signé par les trois pays garants des parties en conflit : la Russie et l’Iran pour la Syrie, la Turquie pour les « rebelles ». Ce mémorandum instaure un cessez-le-feu, poursuit l’évacuation des enclaves rebelles assiégées (notamment ceux de Damas), et permet retour des réfugiés volontaires dans leur région d’origine. Il fut toutefois dénoncé par l’opposition elle-même, pourtant partie aux négociations, notamment en raison de la présence de l’Iran. Selon Le Monde, Yasser abd ar-Rahim, membre de la délégation rebelle, aurait interrompu la séance en invectivant violemment la délégation iranienne : « Les Iraniens tentent de se présenter et d’agir en tant que garants. C’est quelque chose que nous ne pouvons accepter. Depuis le premier jour, ils tuent des civils sur le terrain », avant de « spectaculairement claquer la porte des négociations devant les caméras. »
Outre le fait que Yasser abd ar-Rahim a été en fait invité à évacuer la salle plus qu’il n’en a « claqué la porte », Le Monde oublie de rapporter que ce personnage est surtout connu pour être l’ancien commandant du groupe islamiste Fatah Halab (« Conquête d’Alep »), actif à Alep lors de l’offensive gouvernementale en 2016, et qui fit, en août de la même année : « le serment que la coalition des groupes armés se “vengerait” des Kurdes à Cheik Maqsoud [quartier d’Alep tenu par les Kurdes], précisant que ces derniers ne “trouveraient plus de place où enterrer leurs morts à Alep” », comme le rapporte les Nations Unies dans le Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne de février 2017 (pp. 17-18). Déclarations hélas suivies d’effets envers les populations civiles, exactions considérées comme des crimes de guerre par l’ONU. La persistance occidentale à vouloir voir des rebelles modérés là où se déchainent des combattants islamistes ou salafistes ultra-radicaux, notamment au seine de la « veine » de Jaysh al-Islam, est une cécité volontaire très lourde de conséquences humaines.
Ce texte prévoit donc d’établir quatre zones de désescalade. Il s’agit des quatre enclaves rebelles dans l’ouest du pays : région d’Idlib au Nord de la Syrie, poche de Homs-nord, poche de Damas-est (ou Ghouta orientale), et enfin zone au sud de la Syrie, le long de la frontière syro-jordanienne et du Golan syrien occupé par Israël.
En gris clair : les zones de désescalade du mémorandum contrôlées par les rebelles ; en violet : la zone contrôlée par les rebelles pro-turcs ; en bleu : les zones rebelles non concernées par le mémorandum d’Astana ; en noir : les zones contrôlées par l’Etat islamique ; en vert : les zones contrôlées par les FDS ; en rouge : les zones contrôlées par les forces gouvernementales ; en marron le Golan israélien occupé par Israël et les forces de l’ONU. Al-Masdar News, modifiée.
A noter que les zones tenues par les rebelles le long de la frontière syro-jordanienne et syro-irakienne (en bleu sur la carte), soutenus par les Etats-Unis, et récemment actifs dans ce secteur (nous y reviendrons), ne sont pas comprises dans cet accord que les Etats-Unis ont salué tout en exprimant naturellement des réserves à l’égard de son « patronage» par l’Iran. Enfin, les forces aériennes de la coalition internationale ont interdiction de pénétrer dans l’espace aérien de ces zones.
Situation militaire en Syrie au 11 mai 2017
Pour saisir les enjeux de cet accord, il convient d’effectuer un rapide tour d’horizon de la situation militaire en Syrie à jour (12/05/2017).
Les contres-offensives gouvernementales de mars-avril-mai 2017
A la veille de la signature du memorandum, les forces gouvernementales et pro-gouvernementales poursuivaient avec succès leur contre-offensive au nord de Hama, répondant à une offensive lancée le 21 mars dernier par le Hayat Tahrir al-Cham (HTS), alliance principalement constituée du Jabhat Fatah al-Cham (ex Jabhat al-Nosra, Al-Qaida en Syrie), Ahrar al-Cham, ainsi que de plusieurs autres groupes salafistes ou islamistes affiliés à l’Armée syrienne libre (ASL). C’est dans le cadre de cette contre-offensive que s’est inscrite l’attaque chimique de Khan Cheikhoun, le 4 avril dernier.
Situation militaire au nord de Hama le 23/03 et 02/05/2017. En rouge : les forces gouvernementales ; en vert : les rebelles (cliquez pour agrandir).
Parallèlement, une autre offensive était lancée le même jour depuis la Ghouta orientale, principalement dans le quartier de Jobar et la zone industrielle de Qaboun, menée par le Faylaq al-Rahman, HTS et Ahrar al-Cham. Cette offensive fut toutefois rapidement circonscrite par les forces gouvernementales, avant que ces dernières ne gagnent du terrain sur les rebelles.
Les quartiers rebelles de Qaboun, Jobar et Zamalka à l’est de Damas au 22/03 et 05/05/2017 (cliquez pour agrandir).
Depuis, l’alliance entre les groupes rebelles de la Ghouta orientale a volé en éclats et de violentes confrontations ont eu lieu entre le Faylaq al-Rahman et les salafistes du Jaysh al-Islam (ceux-là même qui représentent la « rebellion » à Astana), entraînant de nombreuses pertes des deux côtés.
Progression pour la reprise de Raqqa par les Forces démocratiques syriennes
Comme nous l’évoquions en mars dernier, la reprise de Raqqa par la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les Etats-Unis s’est poursuivie par la reprise du « verrou stratégique » de Taqba à l’Etat Islamique (EI), mercredi 10 mai. Dans la nuit du 21 au 22 mars dernier – coïncidence ou calcul tactique victorieux permis par la « fixation » des forces syriennes pour répondre aux assauts rebelles à Hama et Damas -, des troupes des FDS et des forces spéciales américaines ont été héliportées 15 km à l’ouest de Taqba, depuis l’autre rive du Lac Assad. Celles-ci libérèrent plusieurs localités avant de reprendre l’aéroport au sud de Taqba et d’encercler la ville, tandis que les FDS sur l’autre rive de l’Euphrate encerclaient la ville par le nord.
Carte des opérations de la bataille de Taqba (2017) du 22/03 au 10/05/2017. En noir : l’EI ; en jaune : les FDS. Wikipedia.
C’est la première fois que la coalition arabo-kurde franchit l’Euphrate, signe que Washington compte désormais s’appuyer pleinement sur cette force. Le contrôle de Taqba est triplement stratégique pour les FDS et les Etats-Unis, car il permet de :
couper la route ouest de Raqqa, accentuant la pression sur l’EI pour la reprise de la ville.
tenir le barrage de Taqba, important pour le contrôle de l’eau dans le pays.
bloquer la route reliant Alep à Raqqa aux forces gouvernementales syriennes qui pouvaient progresser depuis Alep.
Reste à savoir si les FDS vont désormais couper la route reliant Ithriya à Raqqa, au sud de cette dernière, encerclant complètement la ville et empêchant toute participation de Damas à cette opération, ce qui aurait évidemment d’importantes incidences politiques quant aux partage des zones d’influence qui se dessine et au rapport de force plus global américano-russe.
Carte des mouvements bloqués des forces gouvernementales pour reprendre Raqqa après la capture de Taqba par les FDS. SouthFront, modifiée.
Fin de l’opération turque en Syrie
Le 29 mars dernier, Binali Yildrim, Premier ministre turc, annonçait la fin de l’intervention turque en Syrie (opération « Bouclier de l’Euphrate »). Nous étions revenus sur le fait qu’après la reprise d’al-Bab à l’EI par l’ASL pro-turque, la Turquie se retrouvait bloquée par les forces gouvernementales syriennes au sud, mais aussi, à l’ouest (Afrin) et à l’est (Manbij), par les FDS sous double et concurrente protection russe et américaine.
Au grand dam de R.T. Erdogan, la Turquie et l’ASL furent également exclues de la reprise de Raqqa par les Etats-Unis qui préférèrent s’appuyer sur les FDS arabo-kurdes, insupportable avanie aux yeux du président turc, puisqu’elles sont majoritairement composées des YPG kurdes, branche armée du PYD, organisation terroriste selon Ankara. Cela explique probablement les récentes frappes turques sur le territoire tenu par les FDS depuis deux semaines, et le rassemblement de troupes le long de la frontière turco-syrienne, menaçant d’une nouvelle intervention turque en Syrie, cette fois-ci dirigée directement contre les Kurdes. Tout comme ce fut le cas pour Manbij, qu’Erdogan menaça d’attaquer après la reprise d’al-Bab, les Etats-Unis déployèrent des patrouilles le long de la frontière syro-turque tenue par les FDS pour dissuader les velléités turques, tandis que Russes et forces gouvernementales se déployaient ostensiblement du côté d’Afrin.
Il s’agit une nouvelle fois pour Erdogan de faire pression sur ses alliés pour s’imposer à la table des négociations politiques. En forçant les YPG à se redéployer au nord pour anticiper la menace turque, les opérations pour la reprise de Raqqa ralentissent. Peine perdue puisque les Américains ont affirmé leur soutien au YPG en se rendant sur le lieu des frappes. Plus significatif encore, Jeff Davis, porte parole du Département de la Défense, a annoncé ce 9 mai que les Etats-Unis vont armer les FDS, « seule force capable de prendre Raqqa dans un futur proche » (lire l’article de Georges Malbrunot dans Le Figaro du 11 mai 2017), conformément à leur demande depuis des années. Washington prend toutefois la précaution de rappeler que ce soutien sera limité à « des mitraillettes, des armes légères, des munitions et des véhicules blindés ». Décidément sans aucun scrupule, R.T. Erdogan déclara que le combat contre l’EI « ne devait pas être mené en aidant une autre organisation terroriste ».
Il faut remarquer que la Russie, qui soutient aussi les YPG plus ou moins directement selon les circonstances, trouve son intérêt dans ces bombardements turcs. Comme nous l’avons dit, ceux-ci ralentissent les opérations kurdo-américaines dans l’est syrien, ce qui permettra, nous allons le voir, aux forces gouvernementales et pro-gouvernementales syriennes de progresser dans la course pour l’Est syrien. Mais l’effet pourrait surtout être politique. Ces bombardements poussent en effet les Kurdes à revenir dans le giron de Damas et à renoncer à leur désir d’une possible autonomie territoriale que la Turquie n’accepterait de toute façon jamais et qui pourrait raidir en conséquence la relation russo-turque importante aux yeux de Moscou à plus d’un titre. C’est la tactique que perçoit et dénonce Riza Altrun, membre du conseil exécutif du KCK, émanation politique kurde du PKK turc.
La course pour l’Est syrien, entre entente et concurrence russo-américaine
Maintenant que le front occidental contre les rebelles se trouve stabilisé grâce au memorandum, Damas peut redéployer ses forces sur le front oriental contre l’EI et se consacrer à la reprise d’une autre partie du territoire national .
Une carte publiée le 5 mai sur le compte Twitter de Syrian Generation montre quels pourraient être les prochains mouvements du gouvernement syrien. Les faits ont depuis démontré la justesse de ces prédictions.
Mouvements potentiels des forces gouvernementales. En bleu : la première phase des opérations ; en rouge foncé : la deuxième ; en violet : la troisième potentielle. Syrian Generation.
L’enjeu prioritaire pour Damas est tout d’abord de consolider son flanc oriental, notamment la mince bande sous leur contrôle reliant Hama à Alep, ainsi que la route reliant Homs à Palmyre, sur laquelle se trouve la base aérienne T4 (stratégique pour le ravitaillement iranien). L’objectif principal serait à terme la reprise de la ville de Deir ez-Zoor.
Comme nous le rappelions dans notre billet de mars dernier, la reprise des villes de Raqqa et Deir ez-Zor, et plus largement de tout l’est syrien sous domination de l’Etat islamique, est l’enjeu actuel de l’entente russo-américaine en Syrie. Il s’agit à la fois d’une entente et d’une concurrence dans la mesure où Russes comme Américains entendent, via leurs « proxies » respectifs, avancer leurs pions qui vont déterminer le sort de la future Syrie mais aussi celui de l’équilibre des rapports de force au Moyen-Orient dans son ensemble, avec les incidences énergétiques, sécuritaires et économiques considérables. Cette entente-concurrence a été comparée avec justesse par Elijah J. Magnier pour le journal koweïtien Al Rai (“The US-Russia race in Syria: towards a military confrontation?”disponible en anglais sur son blog) avec la course pour Berlin en 1945 entre les Alliés et l’URSS, course qui allait délimiter les zones d’influence future une fois l’Allemagne nazie anéantie. C’est également la première fois depuis 1945 que des troupes russes et américaines affrontent le même ennemi au sol.
La course pour l’Est syrien entre les forces gouvernementales et pro-gouvernementales (soutenues par la Russie et l’Iran) et les FDS et groupes « rebelles » (soutenus par les Etats-Unis et la Coalition) est en réalité le véritable enjeu de ces accords de cessez-le feu. Ainsi, les zones urbaines de Raqqa et Deir ez-Zor, ainsi que les passages d’Al-Tanf et Al Boukamal (respectivement Al Walid et Al Qaim pour les Irakiens) – situés le long de la frontière syro-irakienne – sont les quatre points que vont se disputer toutes les forces en présences dans un futur proche.
Situation militaire en Syrie au 11/05/2017. En rouge : les forces gouvernementales ; en vert : les rebelles ; en jaune : les FDS ; en noir : l’EI. Les cercles bleus indiquent les zones stratégiques disputées pour le contrôle de l’Est syrien. SouthFront, modifiée.
Nous l’avons vu la reprise de Raqqa est en bonne voie par les FDS, malgré les bombardements turcs.
Concernant Deir ez Zor, la ville est contrôlée majoritairement par l’EI qui en a chassé le Front al-Nosra (ex Al-Qaida en Syrie) à l’été 2014, mais n’a pu reprendre deux zones restées aux forces gouvernementales et qui demeurent assiégées depuis, résistant grâce aux ravitaillements aériens en hommes et en matériels. Ces deux poches aux mains de Damas sont situées d’une part à l’ouest de la ville, autour d’une base de l’Armée syrienne, et d’autre part à l’est, autour de l’aéroport de la ville.
Situation militaire à Deir ez-Zor le 05/05/2017. En noir : l’Etat islamique ; en rouge : les forces gouvernementales ; en bleu : les avancées des forces gouvernementales ; en violet : les zones de combat. Les deux poches ont depuis fait jonction.
Ces derniers jours, Russes et Syriens concentrent leurs frappes sur la ville tenue par l’EI. La Garde républicaine syrienne a été déployée dans les zones assiégées, tandis que les Tiger Forces ont été redéployées depuis Hama et Alep vers l’ouest de Palmyre. Le déploiement de ces deux unités d’élites de l’armée syrienne indique qu’une large offensive pourrait être en préparation prochainement depuis Palmyre via la route « Homs – Deir ez-Zor » reliant les deux villes à travers le désert syrien. La ville pourrait donc retourner dans le giron de l’Etat Syrien, lui permettant de couper en deux le territoire encore sous contrôle de l’EI et de l’encercler au nord .
Lutte pour le contrôle de la frontière syro-irakienne et l’avenir de l’arc chiite
Mais, au delà de ces manoeuvres tactiques d’ampleur, le véritable enjeu de cette course à l’est est celui du contrôle des frontières syro-jordanienne et syro-irakienne, et à terme, celui de la continuité ou non du fameux « arc chiite ».
Au début de cet article nous mentionnons le fait qu’une importante zone rebelle au sud-est de la Syrie est exclue du mémorandum signé à Astana. Longeant la frontière syro-iakienne, cette zone est sous le contrôle de la seule frange de l’ASL qui soit à dominante séculière dans toute la Syrie. Les rebelles de cette zone sont soutenus par la Jordanie et les Etats-Unis. Le principal point stratégique est le passage d’Al-Tanf à la frontière syro-irakienne, une des trois routes officielles reliant la Syrie à l’Irak servant de base aux rebelles entraînés par les Etats-Unis. Les forces spéciales US n’avaient d’ailleurs pas hésité à apporter leur soutien au Jaysh Ossoud al-Charkiya pour contrer plusieurs offensives de l’EI visant à reprendre ce lieu. Une avancée significative a été faite fin-avril début-mai dans cette région par les rebelles.
Situations militaires en Syrie au 27/04 et 11/05/2017. On voit distinctement l’important gain territorial rebelle le long de la frontière syro-irakienne (cliquez pour agrandir).
Outre le fait de s’implanter dans le sud-est syrien en lieu et place de l’EI, l’objectif de cette avancée est de prendre le contrôle du passage d’Al Boukamal situé le long de l’Euphrate, au sud de Deir ez-Zor.
Ce regain d’activité expliquerait le renforcement de la présence militaire américaine en Jordanie. La branche média du Hezbollah présent en Syrie aurait géolocalisé, grâce à des drones, une base américaine utilisée par la Jordanie et les Etats-unis pour leurs opérations en Syrie, et constaté un renforcement significatif de leur nombre.
Carte de la base américaine supposée en Jordanie. En bleu : les zones contrôlées par les rebelles ; en rouge : les zones contrôlées par les forces gouvernementales (cliquez pour faire défiler).
Ces deux points pour le contrôle de la frontière syro-irakienne pourraient être le lieu d’affrontements futurs entre les forces gouvernementales et pro-gouvernementales et les « rebelles », une confrontation par proxies interposés pour Moscou et Washington. Il faudra également compter avec l’EI qui, avec la perte prochaine de Raqqa et Mossoul, joue désormais sa survie territoriale. De nombreux renforts ont d’ailleurs été récemment observés le long de l’Euphrate entre Al Boukamal et Deir ez-Zor.
Cartes des mouvements potentiels à venir pour le contrôle de l’Est syrien. En rouge : les forces gouvernementales ; en vert : les rebelles ; en orange : les FDS ; en noir : l’EI ; en violet : les forces gouvernementales irakiennes. SouthFront, modifiée.
Selon Elijah J. Magnier (article cité), la récente activité « rebelle » sous supervision américaine dans le sud Syrien expliquerait également pourquoi Bagdad aurait également multiplié ses forts le long de la frontière irako-syrienne.
Toujours de même source, ce serait Faleh al-Fayad, Conseiller à la Sécurité nationale du gouvernement irakien, chef des Unités de mobilisation populaires, milices chiites irakiennes formées en 2014 pour combattre l’EI, qui aurait informé Damas et le Hezbollah des plans « suggérés » avec insistance par les Américains à Bagdad. C’est pourquoi la reprise rapide de Deir ez-Zor est un enjeu crucial pour l’avenir de la Syrie et de la région.
Au-delà de l’intégrité territoriale de la Syrie, c’est donc la continuité territoriale de « l’arc chiite » qui se joue actuellement. Si l’est syrien devait tomber aux mains des FDS et des groupuscules « rebelles » sunnites salafistes soutenus par les Américains, l’arc s’en trouverait brisé.
Conclusion
Les prochaines semaines vont être riches en rebondissements. Au-delà de certaines postures ou déclarations et en dépit de la persistance d’un courant idéologique radicalement opposé à toute amélioration de leur relation, Moscou et Washington font montre d’une volonté de s’entendre sur le terrain pour mettre un terme à cette guerre. C’est ce qu’atteste la visite de Sergueï Lavrov à Washington mercredi 10 mai, une première depuis 2013 pour le ministre russe des Affaires étrangères, au cours de laquelle ce dernier a pu s’entretenir avec son homologue Rex Tillerson et le président Donald Trump. Une telle rencontre montre bien que les frappes américaines du 7 avril dernier en Syrie n’ont pas constitué de rupture, s’agissant peut-être même d’un moyen pour le président américain de desserrer l’étreinte politique interne qui l’empêche toujours d’enclencher le reset voulu originellement dans la relation américano-russe. Ces frappes n’ont pas vraiment affecté le rapprochement tactique observé précédemment, même si la rivalité globale demeure évidemment vive ; rivalité dont les enjeux sont lourds et touchent l’équilibre des puissances et des influences sur un monde de plus en plus difficile à contrôler ou à inspirer.
Sur le théâtre syrien, ce sont néanmoins les puissances régionales qui risquent de faire déraper cette fragile entente. L’Iran voudra à coup sûr préserver cet « axe chiite », tandis que les monarchies du Golfe feront tout pour qu’il soit brisé. Si Israël peut trouver son compte dans les zones de désescalade dans au sud de la Syrie et le redéploiement du Hezbollah sur un autre front, elle voit aussi d’un bon oeil l’avancé des rebelles dans le sud-est syrien pour briser l’arc chiite et l’influence iranienne dans la région. Quant à la Turquie d’Erdogan, vexée que ses intérêts soient parfois négligés au plan militaire ou politique, elle pourrait exercer, ici ou là la capacité de nuisance ou de paralysie de certains mouvements militaires. C’est ce qu’atteste la récente création du First Corps dans la zone rebelle pro-turc au nord de la Syrie. Il s’agit d’une coalition rebelle en vue de combattre le YPG, PKK. Tout cela risque de retarder d’autant la maturation d’une consensus politique viable qui puisse augurer pour le malheureux peuple syrien de la fin d’un trop long martyr.