Nous recommandons vivement cet excellent article sur le film « le Serment de Cyriaque » sortie en 2021
https://solidariteetprogres.fr/spip.php?article16921
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Nous vous transmettons l’invitation ci-dessous, que nous avons reçue de la part de la responsable de l’animation du Cinéma Théâtre de CHOISY-LE-ROI.
« Je me présente, je m’appelle Agathe et je travaille au Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi. Je me permets de vous contacter car nous présentons bientôt une pièce de théâtre qui, nous le pensons, pourrait vous intéresser.
Il s’agit de Braveheart, écrit et mis en scène par l’auteur syrien Wael Kadour, le mardi 29 avril à 20h. Cette pièce poétique et intime, nous plonge au cœur des blessures de l’exil.
Présentée en exclusivité à Choisy-le-Roi, raconte l’histoire d’une femme, exilée syrienne, qui tente de reprendre une vie normale malgré ses traumatismes liés à la guerre.
La pièce est intégralement en arabe, surtitrée en français.
Le spectacle ne tourne pas ailleurs, et l’auteur, dont la pièce a reçu un bel accueil critique en Allemagne au Theater An der Ruhr, sera présent.
https://theatrecinemachoisy.fr/braveheart
Si certains de vos adhérents souhaitent venir à la représentation, ils peuvent bénéficier
du tarif partenaire à 8€ la place avec le code « BRAVE » à inscrire dans la partie « saisissez votre code promo » sur la page de billetterie :
https://billetterie.theatrecinemachoisy.fr/spectacle?id_spectacle=707&lng=1
Si vous avez la moindre question, le théâtre se tient à votre disposition
par mail à reservation.theatre@theatrecinemachoisy.fr »
La conférence sera uniquement en vidéo-conférence sur Zoom,
car Mme Catherine Breniquet ne pourra pas faire le déplacement.
Manar HAMMAD vous invite à une réunion Zoom planifiée.
Sujet : Zoom meeting invitation – Réunion Zoom de Manar HAMMAD
Heure : 6 avr. 2023 19:00 Paris
Conférence par Catherine Breniquet
« Sceaux et scellements de l’Orient ancien »
Participer à la réunion Zoom
https://us02web.zoom.us/j/82210877572?pwd=ZEhNcUNNaW9ZeTB3QzRxZ2ZkWU00Zz09
ID de réunion : 822 1087 7572
Code secret : 518390
Qu’Erdogan me pardonne de revenir un siècle en arrière, à la recherche du temps perdu, quand les puissances triomphantes prétendaient refaire l’Europe sur les ruines des empires déchus et redessiner l’Orient compliqué selon leur simple bon plaisir. Nous sommes donc en 1919 et « l’homme malade » agonise. Le monde guette son ultime soupir, mais il y a dix ans que l’essentiel du pouvoir a échappé au Sultan : en avril 1909, le dernier souverain absolu, le réformateur Abdel Hamid II, a dû abdiquer sous la pression des Jeunes-Turcs. Investi illico presto, son demi-frère Mehmed V a été contraint d’accepter la tutelle d’un gouvernement dirigé par Mustafa Kemal, le nouveau gourou. C’est ainsi qu’en 1914 il a « choisi » l’alliance avec l’Allemagne, pensant sauver son trône. Décédé le 3 juillet 1918, il a laissé la Porte ouverte à tous vents. Qu’à cela ne tienne, au pied levé, il a été remplacé par son cadet Mehmet VI, qui n’a rien à refuser à ses parrains. Plus de miracle en vue. Pour l’Empire qui se retrouve dans le camp des vaincus, cette guerre sera « la der des ders» …
Michel Raimbaud
Impatientes, les deux « superpuissances » de l’époque n’ont d’ailleurs pas attendu la victoire, se partageant dès 1916 la grande « velayet » de Syrie. Qui plus est, lorsqu’ils signent avec la France les accords Sykes-Picot, nos amis britanniques ont déjà, en 1915, promis au Chérif Hussein un grand royaume arabe, avant de parrainer en 1917 le projet d’un Foyer national pour les Juifs (cf. la déclaration Balfour). La « Grande Syrie » historique sera divisée en deux : la Syrie actuelle et le Liban à la France, la Palestine et l’Irak à l’Angleterre.
Refusant un dépeçage du domaine ottoman qu’il a pourtant « facilité », Mustafa Kemal déclenche la guerre d’indépendance turque, prenant la tête d’un gouvernement émanant de la Grande Assemblée nationale constituée à Ankara en avril 1920. C’est bien vu puisque le 10 août 1920, le malchanceux Mehmed VI signe avec les Alliés le traité de Sèvres qui ne laisse à feue la Sublime Porte qu’une portion congrue de son territoire, soit moins de 380 000 kilomètres carrés (contre 1 780 000 avant la guerre). Elle renonce à toutes ses provinces arabes proche-orientales ou maghrébines, ainsi qu’à ses possessions européennes (ou ce qu’il en reste). Elle accepte de faire des concessions à la Grèce en Thrace et à l’ouest de l’Asie Mineure. A l’est, le cœur « turc » de l’Empire est entamé puisque l’on prévoit la création de deux Etats à l’est de l’Anatolie, l’un pour les Arméniens dans le nord-est et un autre pour les Kurdes, cantonné au sud-est. Le futur Kurdistan d’Irak, dont le sort est resté pendant, sera finalement remis aux Britanniques et la zone kurde d’Iran n’est pas affectée, la Perse n’étant pas belligérante. Le territoire de la Syrie actuelle n’est pas concerné. Si les cartes « ottomanes » mettent en évidence la présence kurde (pour l’essentiel l’Est anatolien, le Nord de l’Irak et la frange ouest de la Perse), on n’y trouve pas de Rojava.
Le 1er novembre 1922, Mehmed VI est contraint à l’abdication et le Sultanat disparaît. Son successeur Abdel Meçid, élu Calife par la Grande Assemblée, partira en exil en 1924, cette fonction « résiduelle » étant abolie.
Arbitraire des puissances ou volatilité de leurs engagements ? Peut-être les négociateurs réalisent-ils soudain que les Kurdes n’ont pas été trop « maltraités » par les Ottomans depuis 1453, mais qu’ils ont au contraire occupé une place privilégiée en qualité de « gardiens des marches de l’Empire » ? Signé le 24 juillet 1923 au bout d’une longue guerre de reconquête, le traité de Lausanne offre à Atatürk des conditions plus avantageuses que celui de Sèvres. Plus de présence grecque, plus de grand Etat arménien en Anatolie, et… pas d’Etat pour les Kurdes. Ceux-ci voient s’évaporer leur rêve sur la « carte du tendre » ébauchée en 1920 par l’Occident, réduits au rang de « détail » dans le règlement d’un conflit qui a amené la chute de quatre empires : l’allemand, l’austro-hongrois, le russe et l’ottoman.
C’est seulement lorsque la France mandataire quitte enfin la Syrie, en avril 1946, qu’une minorité kurde se manifestera dans la sphère politique, plus précisément lors des coups d’Etat militaires qui émaillent les années suivant l’indépendance : celui de Husni Zaïm, officier kurde issu de l’armée ottomane (en 1946), celui d’Adib Shishakli (en 1949) un kurde également qui prend le pouvoir, l’abandonne pour revenir avant d’être renversé à son tour. Cette séquence suscitera une « refonte » de l’establishment militaire et la défiance à l’égard des partis « ethniques ».
Avec l’arrivée aux affaires du parti Baath en 1963, l’arabisme devient l’élément central de la politique nationale, ce qui ne présente pas de difficulté particulière pour les Kurdes. Arabisés, ils ne sont pas perçus comme un groupe ethnique particulier. Leurs options politiques sont diversifiées (dans les années 1980/1990, on dénombrera treize « partis » pour 1,5 million de personnes). Nul ne parle de « régions kurdes ». En effet, s’il y a de toute évidence un Kurdistan en Turquie, en Irak et en Iran, la situation est différente en Syrie, en l’absence d’assise historique ou géographique. Les trois modestes cantons « kurdes » de Qamishli, Ain al Arab (Kobané) et Afrin, situés dans le nord du pays, n’ont de continuité que via les territoires turc ou irakien et sont en réalité à peuplement mixte, les Kurdes ne représentant guère qu’un tiers de la population, pour un tiers d’Arabes musulmans et un tiers de chrétiens (arabes ou se réclamant d’une identité spécifique). Le Rojava, capitale Qamishli à la frontière turco-syrienne, n’existe qu’en mythe.
En outre, une partie importante des « kurdes » de ces régions ne sont pas de souche ancienne. Si ceux du nord-ouest, en nombre réduit, y sont présents depuis trois ou quatre siècles, l’implantation d’une population sédentaire dans la Haute Djézireh (le « bec de canard ») ne remonte qu’à la seconde moitié du XIXème siècle. En 1962, on compte environ 300°000 Kurdes « apatrides » et, jusqu’à la fin de la décennie 1990, ce sont 300°000 autres demandeurs d’asile venus des pays voisins qui trouveront refuge dans ces zones, y éveillant une certaine militance. Entre les Kurdes et le gouvernement baathiste, on parle alors d’alliance stratégique. Celle-ci est rompue le 9 octobre 1998 quand le chef historique du PKK, Abdullah Ocalan, doit quitter Damas (où il vivait depuis des années), suite aux pressions et menaces d’Ankara. Les liens entre le pouvoir et les partis kurdes, syriens ou étrangers, en seront affaiblis.
Si le pourcentage « kurde » (2 millions sur une population de 22,4 millions en 2011, soit 8,8%) a doublé en un demi-siècle, c’est avant tout en raison de ces mouvements migratoires. En fait, les Kurdes syriens sont dans leur grande majorité (plus des deux tiers) répandus sur l’ensemble du territoire, présents en force à Damas et dans ses banlieues, où l’on en compte plus d’un million. Ils constituent depuis des temps immémoriaux une partie intégrante du tissu national. Ils soutiennent l’Etat et ont donné au pays nombre de hauts dirigeants, de responsables et de personnalités dans tous les domaines.
C’est à la faveur des évènements que l’on sait, à partir de 2011/2012, qu’apparaîtra le « Rojava » et que ses hérauts feront leur entrée au panthéon de l’Occident dominateur, sûr de lui et grand donneur de leçons.
Etrange, cette compassion à éclipses. Notre « axe du bien » ne brille ni par sa bonté, ni par son respect des lois internationales. S’il n’est certes pas l’inventeur de l’impérialisme, il a donné à ce dernier, non pas un supplément d’âme comme il en est persuadé, mais un supplément d’arrogance et d’hypocrisie. La pensée unique adore les images d’Epinal et les peuples mythiques, de préférence souffrants et en perdition, peu susceptibles de contester l’hégémonie de l’Occident. En revanche, tout se passe comme si nos élites avaient un problème avec le monde arabo-musulman. Le passé colonial joue un rôle dans cette approche biaisée, mais les épisodes actuels n’ont rien arrangé. D’où cette sympathie débordante pour les communautés, les peuples ou les Etats qui semblent nourrir des revendications ou une hostilité, de long terme ou de circonstance, à l’encontre de leur environnement « arabe ».
Etat imposé par le colonialisme dans le contexte que l’on sait, Israël a su exploiter à outrance cette posture réflexe et, depuis sa création en 1948, en a tiré un avantage géostratégique majeur dans la confrontation qui l’oppose à son voisinage arabe et plus largement au monde musulman. Dans cette vaste région, en pleine débâcle depuis l’écroulement de l’ordre bipolaire de la guerre froide, les affirmations identitaires, résultant de l’air du temps plus que du vent de l’Histoire, se sont multipliées. Quelles que soient leurs enseignes – assyriennes, chaldéennes, syriaques, berbères, kabyles, « africaines », coptes – elles trouvent en Occident un écho favorable. Les Kurdes font partie du tableau, et dans le chambardement actuel, les voilà devenus la coqueluche de tous ceux qui rêvent de démembrer le monde arabe, ce nouvel « homme malade » du 21ème siècle.
L’impact de l’agression de plus de cent Etats membres des Nations-Unies sur l’Etat syrien aura été tel que des activistes ont pu investir progressivement le Nord du pays et y instiller peu à peu un parfum de séparatisme, à l’ouest d’abord, puis sur la rive est de l’Euphrate, région vitale : 27% du territoire, l’eau, les barrages et l’énergie électrique, les terres, le pétrole, 80% des ressources potentielles de l’Etat. Excusons-les du peu.
Le Rojava, c’est l’ouest en langue kurde, et le mot fait référence au Kurdistan occidental, autrement dit « le Kurdistan de Syrie », présenté depuis le début des « évènements » comme un « territoire autonome de facto », créé en novembre 2013 et « peuplé en grande majorité de kurdes ». Sur quelles bases se fonde une revendication aussi exorbitante ?
A en croire la propagande, les milices « kurdes » auraient été sinon les seules, du moins les plus efficaces dans la lutte contre le terrorisme et l’Etat Islamique, se distinguant en outre par la place éminente des femmes dans leurs rangs. Pour un peu, avec des combattantes cheveux au vent systématiquement en première ligne, les « Forces Démocratiques de Syrie » ou les « Unités de Protection du Peuple » passeraient pour des légions d’amazones. La fougue supposée de ces troupes de partisans (et partisanes) s’expliquerait par leur ferveur à défendre les terres ancestrales… Le grand mot est lâché. Vue de Clermont-Ferrand, de Trebeurden ou de Saint-Pierre du Gros Caillou, la cause paraît indiscutable. A condition bien sûr qu’il s’agisse de terres « ancestrales ». Comment ne pas s’interroger sur la réalité de ce Rojava, le nouvel Eden des Kurdes sans patrie ?
Il est certes réducteur d’assimiler séparatisme kurde et les Forces Démocratiques de Syrie (Qasad en arabe et FDS en français) et/ou le Conseil Démocratique syrien, leur branche politique. Formées en octobre 2015, les FDS incorporent des rebelles de tribus arabes proches de l’Armée Syrienne Libre (ALS), des combattants d’allégeances diverses (Armée Al Sanadid) et des chrétiens du Conseil Militaire syriaque. Mais c’est l’élément kurde, les « Unités de Protection du Peuple » (Yekineyen Parastina Gel ou YPG), branche armée du Parti de l’Union Démocratique syrien, formée en 2011, qui en constitue la colonne vertébrale et le moteur. C’est lui qui polarise et capitalise le soutien des Occidentaux, Américains, Français et Britanniques, dont la présence en territoire syrien est illégale du point de vue du droit international. Que ces derniers aient utilisé ces FDS et/ou les YPG comme des alliés ou paravents et réciproquement, ne saurait justifier l’occupation de la rive Est par les uns et son usurpation par les autres, se traduisant par des pratiques mafieuses de pillage et de vol, et par des dénis du droit. On brandit des considérations sécuritaires : on redoute le chantage des Kurdes, au prétexte qu’il y aurait dans les territoires sous leur contrôle des prisons hébergeant 10 000 combattants de Daesh, dont 70 dirigeants et une dizaine de camps pour loger les 100 000 membres de leurs familles (selon Adel Bakawan). Venant de pays qui soutiennent le terrorisme contre l’Etat syrien, l’argument vaut son pesant d’or. Mais en ces temps déraisonnables, la psychanalyse est souvent plus pertinente que l’analyse. Une revue des « partenaires » possibles des séparatistes éclairera notre lanterne :
Pour les Etats-Unis dont la vision traditionnelle tourne de façon obsessionnelle autour de Tel Aviv, pas de doute possible : à Washington, on aime tellement Israël que l’on en voudrait bien deux, et la création d’un Etat kurde, qui serait ce deuxième Israël, ne peut être que bénéfique. Par ailleurs l’obsession de détruire et morceler la Syrie est telle que Washington soutient tous les sécessionnistes, les activistes kurdes en cette occasion. Ce sont donc des alliés évidents. Pour la diplomatie éléphantesque qui a les faveurs de l’Oncle Donald, la saisie des puits de pétrole syriens est un argument « stratégique » idéal. A ce stade de gangstérisme, à quoi bon évoquer la légalité internationale ? Autant demander à Al Capone de faire le baisemain aux dames avant de passer à la sulfateuse leurs maris quand ils ont trahi la Cosa Nostra.
Les Européens partagent la même obsession anti-syrienne, et les évènements d’aujourd’hui leur rappellent le bon vieux temps des mandats. Pour la France, la création d’un Etat kurde dans le nord syrien va de soi et est prioritaire jusqu’à aujourd’hui. Nous ne reviendrons pas sur la colossale finesse de cette politique « arabe » revisitée. On se contrefiche bien évidemment des Kurdes, mais on ne peut laisser passer cette occasion de détruire un pays que l’on rêve de rayer de la carte. On se tamponne de la zone-tampon, ou de la zone de sécurité, l’important étant de faire comme si l’Etat syrien n’existait pas et de lui arracher une zone stratégique pour interdire sa reconstruction, une opération qui compléterait avec un siècle de retard « l’œuvre civilisatrice ». On n’en déduira pas que la France aime bien la Turquie… Mais elle ne hait point les Etats-Unis et verrait d’un bon œil l’implantation au cœur du monde arabe d’un deuxième Israël, une idée qui fait frétiller nos penseurs.
Idem pour les Grands Bretons sous la houlette de l’exotique Boris, toujours prêts à sortir quelques surprises de leur boîte à malices. Qui peut deviner les dernières nouvelles de demain : pourquoi ne déterrerait-on pas soudain la promesse faite aux Kurdes il y a un siècle en faisant du Nord syrien de nouveaux « territoires occupés » ?
S’ils ont soudain beaucoup d’amis, les Kurdes ont néanmoins un ennemi mortel : le nouveau Grand Mamamouchi. Erdogan n’aime pas l’idée d’une entité kurde en Syrie, à ses frontières, bien qu’il ait un peu joué avec le feu. Mais il peut compter sur des groupes armés d’inspiration turque, fussent-ils terroristes plus ou moins recyclés. Il peut encore miser sur la concurrence russo-américaine et tenter de nager au milieu des gros poissons, comme au temps des Ottomans. Erdogan vivant, il n’y aura pas de Rojava.
Si les activistes kurdes tentés par le séparatisme avaient un zeste de bon sens, ils verraient sûrement que Damas est finalement le recours le plus sûr. Pour le président Al Assad, la question kurde doit être replacée dans le contexte d’une société plurielle. « Nous n’avons aucun problème avec la diversité syrienne, qui est belle et riche. La diversité est une chose, mais la partition, le séparatisme et le dépeçage du pays en sont une autre absolument contraire ». Il précise : « Nous avons le droit de défendre l’intégrité du territoire national et de nous méfier des projets séparatistes ». Et de donner en exemple les Arméniens « qui ont toujours été des patriotes », s’étant intégrés sans se diluer. Selon le discours officiel, les Kurdes de Syrie n’ont pas d’agenda caché. La Syrie est une et indivisible. Le décret concernant les « Administrations locales », est en vigueur depuis 1972, et des amendements au niveau de la future Constitution garantiront les droits des Kurdes, à une seule condition : « que ceux-ci ne touchent pas à la souveraineté et à l’unité territoriale de la Syrie ».
Le gouvernement n’a pas ménagé les efforts d’ouverture : en témoigne le décret du 7 avril 2011 accordant la nationalité syrienne aux Kurdes venus jadis comme demandeurs d’asile à partir des années 50 ou 60, une mesure réclamée de longue date. Au-delà de décisions symboliques comme celle de donner une place à l’enseignement du kurde à l’université, le pouvoir a une vision œcuménique du processus de règlement : en témoigne « l’initiative nationale des Kurdes syriens » que dirige Omar Oussi, membre du Parlement, membre de la délégation du gouvernement aux pourparlers de Genève 3. La portée du geste ne saurait être sous-estimée : le PYD, le plus important des partis syriens « kurdes », dirigé par Saleh Muslim, avait été écarté de Genève par un veto turc, avec l’approbation de Riyad et de Washington, et les petites formations favorables au « Conseil national kurde » (parrainé depuis l’Irak par Massoud Barzani), étaient représentées à Genève par un seul représentant syrien, dans le cadre du « groupe de Riyad », le but étant de réserver à ce dernier et aux chefs de ses factions armées le rôle de porte-parole exclusif de « l’opposition ».
A Damas, on est soucieux d’élever le débat, et on refuse tout amalgame entre « Kurdes » et séparatistes. En visite à Idlib le 22 octobre dernier, le Président Assad rappelait que « le rôle naturel de l’Etat est de créer les conditions susceptibles de soutenir toute forme de résistance nationale contre l’occupant », mettant en lumière une évidence souvent oubliée : « Le principal facteur qui a amené les Américains, les non-Américains et les Turcs dans la région est l’existence de Syriens collaborateurs et traîtres. Nous devons traiter avec ces Syriens-là et restaurer la notion de patrie dans la société, faire en sorte que la traîtrise ne soit pas considérée comme un simple point de vue, ou une opinion politique comme une autre. Lorsque ce résultat sera atteint, les Américains partiront parce qu’ils n’auront plus ni le loisir ni la force de rester, toute grande puissance qu’ils soient ».
Michel Raimbaud
Ancien ambassadeur de France
May Abdulhak nous transmet un excellent article paru sans « L’Orient Le Jour » sur la mobilisation des Syriens pour la sauvegarde leur patrimoine. Ce combat est admirable ,c’est une nouvelle illustration de la résilience de ce peuple qui démontre qu’il saura se relever et reconstruire leur Syrie unitaire.
ENQUÊTE
Illustration Yvan Debs
Face aux pillages de tout bord, certains professionnels de l’art et du patrimoine choisissent l’exil, d’autres se font «douaniers », du côté des Kurdes.
Valentine LEROY | L’Orient Le Jour
08/04/2017
En 2012, ils œuvraient dans l’ombre, hébergés dans des hôtels insalubres de la frontière turque. La reconnaissance de leur travail leur vaut aujourd’hui un tout autre décor. Sous les bruits incessants des klaxons beyrouthins, les cliquetis des pinceaux à dépoussiérer et quelques bruissements de tissus se font répétition générale d’une guerre culturelle, celle menée par des Monuments Men* syriens contre l’État islamique (EI).
Dans les locaux de l’Unesco, plus de 400 professionnels du patrimoine syrien, répartis en plusieurs sessions de trois à cinq jours depuis 2014, ont appris à manier divers outils avec une précision chirurgicale afin de sauver les pièces syriennes menacées par les pillages. Des formations nécessaires « pour éviter de faire plus de mal à ces objets qu’on ne leur en a déjà fait », souligne, interrogé par L’Orient-Le Jour, Robert Bewley, directeur de projet et cofondateur de Eamena, programme de préservation des sites archéologiques menacés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Financés par l’Unesco, en partenariat avec Icomos, CyArk et Heritage for Peace, ces entraînements comprennent un programme complet fondé sur la préservation et le recensement du patrimoine syrien. « Les professionnels apprennent à prodiguer les gestes de premiers secours et à déplacer ces objets fragilisés par la guerre, le tout avec un minimum de moyens », explique M. Bewley. Ces enseignements vont du plus infime coup de pinceau sur les objets au scanner 3D portatif, ou à la photogrammétrie pour le recensement des monuments bâtis. Sur le terrain syrien, pas le droit à l’erreur, il faut se faire discret et efficace.
« Si je me fais arrêter… »
Le mouvement est lancé en août 2012, suite à une explosion dans le quartier général du ministère de la Défense, à Damas. Maamoun Abdulkarim, directeur général des antiquités et musées de Syrie, pense alors à s’enfuir, par sécurité pour sa famille, avant de demander l’avis de sa fille, qui l’arrête : « Je n’ai pas envie que mes amies pensent que mon père est un lâche. » C’est décidé, ils restent. M. Abdulkarim lance alors l’évacuation des musées, une initiative qui permet de sauver, entre août 2012 et mars 2015, 99% du contenu de 34 établissements, selon le rapport de Heritage for Peace publié en mars cette année. « Les musées sont les premières victimes de la guerre », explique-t-il. Une vision partagée par Leila**, coéquipière de M. Abdulkarim, Monuments Woman et archéologue syrienne, interrogée par L’OLJ : « Certains diront que les dommages causés aux sites syriens font partie de leur histoire, je pense que les sauver fait partie de nos devoirs. » Les 300 0000 pièces récupérées sont alors cachées dans des coffres scellés aux alentours de Damas, dans des endroits tenus secrets.
Ces hommes et femmes risquent leur vie pour le patrimoine syrien. Quinze personnes l’ont ainsi perdue dans ces missions de sauvetage, selon Maamoun Abdulkarim. « Si je me fais arrêter, on me retrouvera probablement sur le marché, pas celui de l’art, celui de l’esclavage sexuel », confie Leila. Pour favoriser la réussite de ces missions, la Direction générale des antiquités et des monuments travaille avec les autorités internationales, mais également locales, telles que la police, les gouverneurs, les municipalités, les universités et associations privées, et d’autres entités de la sphère publique à Damas, Palmyre, Homs, Hama, ou encore Deir ez-Zor. Tous ont leur rôle dans l’encadrement de ces missions.
« Mon choix est fait »
Maamoun Abdulkarim, initiateur des Monuments Men en Syrie, insiste sur la nécessité de coopérer avec les forces militaires dans les zones à haut risque. « Je suis accepté comme scientifique dans certaines zones de Syrie, comme au Nord, où mes origines kurdes permettent de me faire entendre par les habitants. Pour les zones à risque, notamment au Sud, on s’entoure de forces militaires, mais je sépare le politique du scientifique. » Ce partenariat avec les forces du régime syrien en rebute toutefois plus d’un. C’est le cas d’Ayman*, archéologue syrien et Monuments Man, témoin des méfaits de certains soldats. « On parle de fouilles illégales ; moi, ce que j’ai vu, c’était du pillage, ni plus ni moins », martèle, à L’OLJ, le professionnel. C’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à abandonner la mission de sauvetage du patrimoine et à opter pour l’exil. « J’avais le choix entre dénoncer ce que j’ai vu sans avoir l’assurance de changer cette réalité, ou me protéger et abandonner une mission qui ne sera jamais complétée à mes yeux. J’ai une famille, mon choix est fait », explique-t-il, déçu.
Face aux dérives de toutes les parties au conflit, Tayssir, également Monuments Man, a choisi le camp des Kurdes, « douaniers » de la frontière nord de la Syrie. Il empêche les pièces syriennes de sortir du pays, dernière étape avant que celles-ci ne se retrouvent sur le marché noir de l’art. Il croise donc régulièrement les pilleurs et note leur profil. D’après Tayssir, les soldats de l’EI ne sont pas les seuls à profiter de la guerre pour orchestrer des pillages. « Quand la communauté internationale pointe l’État islamique du doigt, ça en arrange plus d’un, qui en profitent pour faire leur marché sur les sites syriens », lance-t-il, amer, à L’OLJ. « On a arrêté plus de 15 000 objets à ce jour, on essaye d’empêcher toute pièce du patrimoine syrien de sortir du pays. Parce que, quand cela arrive, il y a de grandes chances pour qu’on ne les retrouve jamais », explique-t-il.
Marché noir
Les pilleurs constituent le premier échelon d’une immense hiérarchie de trafiquants. Les pièces récupérées sur le territoire de l’État islamique (EI) doivent être soumises au préalable à l’avis d’un chef local, qui peut choisir de les détruire ou de les laisser au pilleur après avoir récupéré une compensation financière, auquel cas ce dernier ne touchera qu’une infime partie du prix de vente final de la pièce. Ces objets soumis au marché noir passent de main en main dans de nombreux pays de transit tels que le Liban, Israël ou encore la Jordanie, avant d’atterrir aux États-Unis, au Japon ou, plus rarement, en Europe.
Qu’ils soient avec Maamoun Abdulkarim, du côté des Kurdes ou en exil, les Monuments Men ont œuvré et œuvrent encore contre ces pilleurs, préservant ainsi le patrimoine de la Syrie. Mais la majorité des œuvres pillées se trouve maintenant hors de Syrie, dans les réseaux du marché noir de l’art (lire ci-contre).
*Les Monuments Men sont des sauveurs d’art en temps de guerre. Ils ont eu droit à un buzz énorme en 2014 avec le film Monuments Men de George Clooney, adaptation du livre éponyme de Robert M. Edsel, paru en 2009.
**Les prénoms ont été modifiés.
Le Dark Web, théâtre du marché noir artistique de l’EI
Installé en Turquie depuis le début du conflit syrien en 2011, Bassem pianote sur le clavier de son ordinateur, sourire en coin. Du haut de ses 29 ans, le jeune Syrien s’est spécialisé dans la recherche de trafiquants de pièces syriennes sur le Dark Web, face cachée de la toile où se regroupent les plus grands réseaux de trafic au monde, mais également bête noire de l’organisation internationale de police criminelle Interpol. En partenariat avec l’Unesco, cette dernière cherche à identifier et intercepter les pièces syriennes pillées puis revendues sur le « dark web ».
Seulement, la nature de ce sous-ensemble de la toile rend la traque hasardeuse, et le recensement des pièces, difficile. « Accéder au Dark Web requiert une expérience en informatique plus qu’avancée et un large réseau dans le milieu, explique Bassem, contacté par L’Orient-Le Jour via Skype. Il faut d’abord télécharger un logiciel bien particulier, puis un VPN, mais surtout, il faut connaître l’adresse de la page visée. » Le Dark Web est constitué d’un ensemble de pages non indexées, c’est-à-dire introuvables via un moteur de recherche. On estime l’ampleur de celui-ci à plus de 600 téraoctets de données, soit plus de 90% de l’ampleur totale du web. Qui plus est, par un système d’onion rooting et d’adresses IP impossibles à tracer, les visiteurs des sites contenus sur cette facette de la toile semblent échapper à toute autorité. « Il est difficile de quantifier l’ampleur de ce trafic.
Ce que l’on sait, c’est qu’il nous faudra des dizaines d’années et autant de millions de dollars pour espérer récupérer certains de ces objets ou ornements », explique à L’OLJ Édouard Planche, chargé du programme de lutte contre ce commerce illicite des biens culturels à l’Unesco. Pour cela, l’organisme compte sur le soutien financier des États, de l’Union européenne, mais également de fondations privées. « Malheureusement, il y a certaines pièces que l’on ne retrouvera jamais », souligne-t-il.
Financer le terrorisme
Bassem a fait de cette vision fataliste sa motivation. « Jamais je ne me résoudrai à abandonner cette mission pour le patrimoine syrien. C’est mon histoire qui est en jeu, je sais me servir du Dark Web, j’ai mon réseau, je le mettrai à profit pour retrouver les pièces pillées autant que je le pourrai », affirme-t-il.
Ce génie de l’informatique a ainsi réussi à identifier plusieurs pièces pillées sur des sites syriens, qu’il a par la suite référencées via la centralisation de données concernant les pièces syriennes disparues, une initiative de l’Unesco et de ses partenaires. Pour les reconnaître, Bassem s’aide des listes rouges de l’ICOM, qui délivrent une typologie de pièces provenant de zones pillées. Aubaine pour ces Monuments Men du net, calvaire pour le marché noir, ces listes rendent presque impossible la revente de pièces telles que les bustes de Palmyre, que l’on ne trouve nulle part ailleurs. « J’ai pensé un temps à acheter les pièces que je trouvais, mais la monnaie du Dark Web, le bitcoin, connaît un cours tellement haut que ce n’était financièrement pas possible, explique Bassem. Et puis, je me suis vite rappelé qu’acheter ces pièces, c’est financer le terrorisme. »
« Les sortir du cercle de l’EI »
D’autres n’ont pas vraiment les mêmes scrupules. Ni les mêmes intentions. C’est le cas de Hady*, un collectionneur beyrouthin que L’Orient-Le-Jour a rencontré et qui possède notamment un buste de Palmyre. À ses yeux, l’œuvre passe pour un simple « investissement sur le long terme ».
« J’attends que cette histoire de pillage se tasse, pour ensuite le revendre une fortune », dit-il, assez fièrement. Financer une entité terroriste pour des besoins personnels ne stoppe pas l’appétit du collectionneur. « Je ne suis pas un terroriste, je préfère me voir comme une sorte de sauveur d’œuvres d’art, puisque je les sors du cercle de l’EI », explique-t-il. Hady conserve en moyenne un quart des œuvres réceptionnées et fait de ce trafic son fond de commerce. Pour parvenir à ses fins, il redouble d’effort en matière de précautions. Une fois l’accord scellé avec le vendeur, il lui transmet l’adresse de son coursier, un homme qu’il « paye pour mettre son adresse et son nom sur cette livraison ». « Si quelqu’un intercepte le colis, c’est lui qui tombe », résume Hady. Les intermédiaires ne connaissent pas sa véritable identité. Du Dark Net à son hangar, il utilise de multiples identités, toutes falsifiées. Ces transactions lui valent, selon les critères d’Interpol, le statut de trafiquant à échelle mondiale, ce qui ne l’arrête pourtant pas dans sa quête, insatiable. « C’est une vraie drogue, entre l’adrénaline face au risque de se faire prendre, et le besoin de collectionner », ajoute-t-il.
Ce commerce se présente comme une « véritable bombe à retardement », selon Édouard Planche. Le cœur de la lutte contre le trafic d’antiquités syriennes se tiendra en effet d’ici à une dizaine d’années, lorsque les pillages ne seront plus qu’une page tournée du passé syrien.
En attendant, Basem, cyber-Monuments Man, continue de pianoter.
Sur la scène du théâtre antique de Palmyre, que l’armée syrienne vient de reprendre au groupe Etat Islamique (EI), Angel Dayoub interprète le célèbre refrain arabe: « Nous serons de retour« .
La voix mélodieuse de cette chanteuse de 15 ans emplit cet édifice du IIe siècle, lourdement endommagé par l’EI, qui a abandonné la ville jeudi à l’approche de forces gouvernementales soutenues par la Russie.
« Les quelques destructions ne nous décourageront pas de venir chanter et jouer ici », dit-elle à l’AFP.
« Je veux jouer de la musique et chanter partout où l’EI a été chassé car ce groupe hait la chanson et interdit de jouer d’un instrument », ajoute-t-elle sur un ton de défi.
Pour son interprétation de la fameuse chanson de la diva libanaise Fayrouz, Angel est accompagnée par des amis musiciens jouant du violon, du tambourin ou de l’oud, le luth oriental.
« Nous serons de retour » (Fayrouz)
« Nous chantons ‘Nous serons de retour’ car nous allons revenir encore plus fort. Chacun reconstruira le pays à sa manière. Nous voulons le faire avec la musique et la chanson », explique-t-elle.
Palmyre, située en plein désert dans le centre du pays et dont les ruines ont été inscrites au patrimoine mondial de l’humanité en 1980, a changé plusieurs fois de mains lors des six ans de guerre.
L’EI s’en est emparé en mai 2015 et a détruit et vandalisé des trésors archéologiques durant dix mois d’un premier règne brutal.
A la recherche d’un spectaculaire mortifère, les jihadistes s’étaient livrés dans le théâtre romain à des exécutions, avant d’en être chassés en mars 2016.
Mais ils étaient revenus en décembre. Ils avaient alors détruit le tétrapyle, un monument de 16 colonnes érigé à la fin du IIIe siècle, et saccagé le théâtre.
Les jeunes musiciens ont donné un aperçu de leur talent devant une audience de soldats syriens et russes auxquels s’étaient joints des journalistes effectuant une visite organisée par l’armée.
Des explosions étaient encore audibles, en raison des combats des forces syriennes et de leurs alliés russes contre l’EI au nord et à l’est de la ville.
« Daech (acronyme en arabe de l’EI) voulait interdire le théâtre, la chanson, mais moi je veux les défier », assure Maysaa al-Nuqari, une jeune joueuse d’oud.
Vêtue d’une veste en cuir noir et de bottes de combat, cette jeune fille aux cheveux frisés teints en rouge appelle les autres musiciens à venir jouer.
« Daech, ce sont les ténèbres mais la musique, c’est la lumière », lance-t-elle.
Fondée il y a 2000 ans, Palmyre était une oasis caravanière qui tomba sous le contrôle romain dans la première moitié du Ier siècle et fut rattachée à la province romaine de Syrie.
La ville devint une cité prospère sur la route reliant l’Empire romain à la la Perse, l’Inde et la Chine, grâce au commerce d’épices et de parfums, de la soie et de l’ivoire de l’est, des statues et du travail du verre de Phénicie.
Ses temples magnifiques, ses tombes au style unique et ses allées de colonnades attiraient 150.000 touristes un an avant la début du conflit syrien.
Maintenant, l’inventaire de ce qu’ont subi les monuments a été confié à Wael al-Hafyan, un responsable du département des Antiquités de la province de Homs.
Ce quadragénaire arpente désormais le site, examine avec attention chaque pièce antique et note le tout sur petit carnet.
« Notre estimation préliminaire est que les nouvelles destructions sont limitées à la façade du théâtre, son abside, ainsi qu’à l’explosion du tétrapyle, assure-t-il à l’AFP.
Mais il s’effondre en larmes quand il arrive au théâtre et au tétrapyle, un édifice de 16 colonnes érigé à la fin du IIIe siècle.
L’EI l’a réduit en janvier à un amas de pierre, un acte qualifié par l’ONU de « nouveau crime de guerre et d’immense perte pour le peuple syrien et l’humanité ».
« Quiconque possédant un iota d’humanité ne peut pas ne pas se sentir triste en les voyant. Je suis triste et je le resterai jusqu’à ce que Palmyre redevienne ce qu’elle fut », martèle-t-il.
Mais cet ingénieur reste optimiste et considère que Palmyre sera restaurée grâce à l’aide de l’Unesco.
Quand on lui demande de faire le point sur ce qu’il reste des trésors de Palmyre, Wael al-Hafyan se mord la lèvre et réfléchit.
« Tout Palmyre demeure. Son histoire demeure. Quelques éraflures ne peuvent pas dénaturer sa beauté. L’énormité de ce qu’a commis Daech, tous ses crimes, ne peuvent porter atteinte à la gloire de cette ville », assure-t-il.
Témoignage remarquable de Samir Abdulac, Président du groupe de travail ICOMOS pour la sauvegarde du patrimoine culturel en Irak et en Syrie, qui s’est rendu récemment à Damas pour assister à un congrès d’archéologues organisé par la DGAM( Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie). 02/01/2017.
« Je suis récemment rentré de Damas où je viens de passer quelques jours après une absence de près de six ans. J’y ai certes retrouvé des membres de ma famille, mais plonger dans une ville appauvrie et en proie aux pénuries de la guerre n’est guère une expérience agréable croyez-moi. La vieille ville d’Alep était déjà tombée sans davantage d’affrontements meurtriers et destructeurs. Le site internet de la direction générale des antiquités et des musées (DGAM) publie d’ailleurs en ce moment, quasi-quotidiennement des photos des différents quartiers de la vieille ville meurtris par la guerre fratricide menée par air, par terre et même sous terre. La nouvelle de la chute de Palmyre est par contre tombée comme une douche froide. Les nouveaux combats auraient épargné le site antique mais le pire reste à craindre. La population n’était presque pas rentrée encore.
Je me suis évidemment rendu dans la vieille ville de Damas que je connais bien. J’y étais accompagné de Stefan Simon de l’université de Yale. Elle change et sa composition sociale serait en cours d’évolution avec l’arrivée de nombreuses personnes déplacées. Une centaine de restaurants et d’hôtels y avaient ouvert au cours des années 2000, mais la plupart ont fermé leurs portes. Le vieillissement, le manque d’entretien et des adjonctions affaiblissent le bâti. Les services municipaux chargés des contrôles semblent relâcher leur vigilance. Beaucoup se plaignent du manque de matériaux traditionnels. Dernièrement plusieurs incendies se sont spontanément déclarés dans les souks. Il convient de mieux comprendre leur origine spécifique et de les prévenir. La chute aléatoire d’obus, la recherche de combustibles alternatifs, la multiplication de branchements électriques hasardeux et la pression insuffisante du réseau d’incendie représentent des menaces désormais permanentes. La reconstruction des locaux commerciaux est effectuée généralement vite, avec le respect d’une bonne échelle certes, mais trop vite, avec des fautes et sans matériaux appropriés dans un site du patrimoine mondial. L’ICOMOS avait déjà commencé des formations à la préparation aux risques avec l’ICCROM et l’UNESCO, mais il paraît nécessaire d’aller beaucoup plus loin encore.
Une visite au service de l’inventaire architectural de la direction générale des antiquités et des musées (DGAM) nous a révélé dans leurs archives des trésors concernant les monuments de Syrie, qu’il s’agisse des travaux passés de restauration à Palmyre dans les années 1930 signés Robert Amy ou des relevés de la synagogue de Jobar aujourd’hui détruite par des bombardements. J’ai en tout cas eu le bonheur de rencontrer une jeune équipe très enthousiaste de l’inventaire que nous (ICOMOS, CyArk, Université de Yale, Fonds Arcadia et UNESCO) équipons et formons aux techniques de relevés 3D. Ils commencent déjà des exercices pratiques dans le vieux Damas. Nous avons pu discuter de leurs attentes et des premiers problèmes concrets rencontrés. Une prochaine session de formation de deux semaines est prévue dès janvier prochain à Beyrouth. Nous espérons ainsi lancer, au sein d’une institution reconnue, une activité durable maitrisée et prise en charge par des enfants du pays.
Le musée national avait été jadis commencé par l’architecte français Michel Ecochard en 1936. Son architecture de style moderne correspond aux meilleures conceptions muséographiques de son temps. Ce bâtiment est en soi un monument du 20e siècle qui mériterait d’être classé. Sa visite commence désormais par l’ouverture d’un rideau d’acier qui se soulève lentement dans un vacarme épouvantable. Toutes les collections de petits objets ont été évacuées et les vitrines sont tristement vides. Par contre les grandes sculptures, les mosaïques et les peintures murales du musée national restent en place. Bien que la guerre se soit éloignée de Damas, un retournement de situation est toujours possible et des solutions adaptées doivent être planifiées. Le musée de Beyrouth est, d’une façon plus classique, un monument aussi. Autrefois situé sur la ligne de front, sa direction avait su protéger ses plus grandes pièces par des sarcophages de béton. Je suis allé au retour le visiter, il fait désormais l’objet d’une merveilleuse renaissance et vient tout juste d’inaugurer un sous-sol réaménagé.
Un colloque scientifique de haut niveau a été organisé par la DGAM pendant une partie de ce séjour dans la prestigieuse salle damascène de ce même musée national sur le thème « propositions pour la résilience du patrimoine syrien ». Une centaine de participants ont suivi les travaux : une vingtaine d’experts étrangers de toutes nationalités dont un seul russe et des Syriens : archéologues, architectes, universitaires, représentants d’associations, étudiants et- il faut le mentionner- des membres individuels de l’ICOMOS anciens, récents et postulants. Un condensé de société civile en somme. Au cours d’un programme dense, l’ordre des exposés alternait les contributions d’experts syriens et étrangers. Les différents services de la DGAM ont présenté les travaux qu’ils menaient par exemple sur les musées, les monuments, de la vieille ville de Damas, etc. Les exposés des spécialistes étrangers étaient riches aussi : les analyses de la forteresse croisée de Marqab, les prises de vues par drone, le projet d’inventaire national en 3D, la protection des ruines fragiles déterrées, la recomposition de sites archéologiques bouleversés par le pillage, etc. Quelques propositions pour une évaluation rapide de l’état des lieux à Alep furent évoquées. Sa reconstruction n’est pas à l’ordre du jour, mais chacun pressent qu’elle pourrait être terriblement compliquée. Le professeur Pierre Leriche, l’archéologue de Doura Europos (il préfère dire Europos Doura) a proposé à ses collègues un moratoire généralisé sur les fouilles en Syrie, c’est à dire de ne plus fouiller pendant plusieurs années et se consacrer plutôt à la publication de la grande masse existante des travaux déjà entrepris et encore jamais divulgués aux collègues et au public. Les ministres annoncés ont par contre déserté la rencontre. Probablement inspirée de l’exemple des expositions le long des grilles du jardin du Luxembourg ou du siège de l’UNESCO, la start-up française ICONEM présentait des panneaux informatifs sur ses travaux en Syrie, accrochés sur la clôture extérieure du jardin du musée national. Une autre exposition, ailleurs en ville, présentait des pièces archéologiques volées et récemment récupérées.
Enfin, une visite à la faculté d’architecture de l’université de Damas en compagnie de Abir Arkawi et de Talal Akili, tous deux membres de l’ICOMOS, m’a enfin permis de rencontrer plusieurs professeurs et étudiants et de longuement discuter avec eux. J’ai été impressionné par la mise au point d’une grande maquette de la vieille ville de Damas, dans laquelle chacune des maisons figurait avec son patio. Par ailleurs des dizaines de panneaux accrochés aux murs d’une grande salle présentaient les quatre parties complémentaires de récents travaux d’étudiants sur Palmyre. La partie concernant l’analyse des ruines et de leur passé était franchement attendue, mais les projets d’évocation sur place des ruines dynamitées par des panneaux de verre ou des rayons lumineux l’étaient moins. La partie concernant la ville moderne commençait par un état des lieux, des statistiques chiffrées sur la dispersion actuelle de la population de Palmyre et se poursuivaient par un programme échelonné dans le temps de réparation des infrastructures, des logements et des services et même de sa future extension. La partie « écologique » était basée sur les ressources naturelles en eau du site et envisageait une future ville verte. Enfin la partie concernant la planification régionale tournait complètement le dos à l’ancien rôle touristique du site et tentait de lui donner un nouvelle vocation par le création de réserves naturelles et le développement d’énergies alternatives à l’échelle du pays. Par contre le temps m’a manqué pour visiter le centre Baroudi de l’université situé dans le quartier Qanawat, qui abrite l’ancienne antenne de l’Ecole de Chaillot et où se poursuivent des cours de restauration architecturale. Je n’ai pas non plus pu accompagner ses professeurs et étudiants à Maaloula, ce village inscrit sur la liste indicative et où s’effectuent actuellement des travaux de restauration et de reconstruction.
Que dire d’autre, sinon que Maamoun Abdulkarim, ce consensuel directeur général de la DGAM, était atterré (comme nous tous) par le retour de Daech à Palmyre. Il était également préoccupé par un projet turc de modification du cours du Tigre, qui risquait -par absence de concertation- de faire disparaître le pont de Ain Dewar de l’époque seljoukide au nord-est du pays (le « bec de canard »). Le soutien chaleureux de scientifiques étrangers difficilement parvenus à Damas le renforçait toutefois moralement dans sa bien difficile mission entamée en 2012″.
Samir ABDULAC
Docteur en urbanisme • Architecte DPLG • Dip. UCL Bartlett
Président, Groupe de travail ICOMOS pour la sauvegarde du patrimoine culturel en Syrie et en Irak
Vice-président, Comité scientifique international ICOMOS pour les villes et villages historiques (CIVVIH)
Membre, Comité d’Orientation, ICOMOS France
Membre de l’AFS.
Par Oriane Huchon
Plusieurs articles sur les différents courants de l’islam sont déjà parus sur Les clés du Moyen-Orient. Celui-ci a pour objectif de présenter une cartographie de l’implantation des religions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les courants principaux y sont représentés, ainsi que les principaux lieux saints (sunnites et chiites), les lieux de naissance des principaux ordres soufis, et les minorités religieuses.
Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont les terres d’expansion de l’islam aux VIIe et VIIIe siècles de notre ère. Il ne faudrait pourtant pas considérer ces vastes territoires comme un monde unifié religieusement. Les religions antérieures à l’islam, le christianisme sous ses diverses formes (maronite, orthodoxe, copte, catholique…) et le judaïsme, demeurent au sud et à l’est de la Méditerranée et disposent d’un statut spécial dans le droit musulman, le statut de dhimmi. Jusqu’à la chute de l’Empire ottoman, le statut de dhimmi était communément appliqué dans les diverses communautés musulmanes.
Les musulmans sont de nos jours environ un milliard et demi sur la planète, soit 23% de la population mondiale. Ils forment le groupe religieux le plus important au monde après le christianisme. Les sunnites (toutes écoles confondues), représentent 87,4% de la population musulmane ; les chiites duodécimains 8,4 %, les autres mouvances chiites 3,5% et les ibadites 0,7% (1). La majorité de ces musulmans se trouve désormais en Asie, avec entre 700 et 800 millions de pratiquants, principalement en Indonésie (premier pays musulman du monde), en Afghanistan, en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et en Chine (2). Au Moyen-Orient (Turquie, Egypte et Iran compris), ils seraient entre 350 et 400 millions ; alors qu’au Maghreb ils seraient un peu moins de 90 millions.
A titre comparatif, les chrétiens représentent 32% de la population mondiale et sont 2,2 milliards sur Terre. Les hindous sont 1 milliard, les bouddhistes 500 millions et les juifs 14 millions (4). Les juifs ont globalement fui les terres d’islam depuis la création d’Israël, et 25 % de la population juive globale vit actuellement en Israël. Les chrétiens d’Orient sont entre 10 et 16 millions au début du XXIe siècle (5).
Dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient à l’exception d’Israël, les musulmans représentent la grande majorité de la population nationale, toutes confessions de l’islam comprises. En 2013, on estimait ainsi le nombre de musulmans au Maghreb et au Moyen-Orient, par pays :
Pays | Population totale (en millions) | % de musulmans dans la population |
---|---|---|
Algérie | 39 | 99% |
Arabie saoudite | 27 | 100% (dont chiites entre 10 et 15%) |
Bahreïn | 1,3 | 70% (chrétiens 14%, hindouisme 10%, bouddhisme 2,5%, autres) |
Egypte | 87 | 90% (coptes 10%) |
Emirats arabes unis | 8,3 | 96% (dont chiites 16%) |
Irak | 32,5 | 97% (dont chiisme 65%, sunnisme 35%) |
Iran | 81 | 98% (dont chiisme 89%) |
Israël | 8 | 18% (judaïsme 75%, autres 7%) |
9 | Nigéria 2.7 | Yémen 100 |
Jordanie | 8 | 92% (christianisme 6%) |
Koweït | 4 | 85% (dont chiisme 30%, christianisme et hindouisme 15%) |
Liban | 6 | 54% (dont 27% chiisme, 27% sunnisme ; christianisme 40.5%) |
Libye | 6 | 97% |
Maroc | 33 | 98,7% |
Oman | 3,2 | 90% (dont ibadisme 75%) |
Qatar | 2,2 | 77% (christianisme 8,5%, autres 14%) |
Syrie | 22 | 98% (dont alaouite 10%, druze 3%, chiite 2% ; christianisme 5%) |
Territoires palestiniens | 5 | Cisjordanie : 75% (judaïsme 17%), Bande de Gaza : 99% |
Tunisie | 11 | 99% |
Turquie | 82 | 99,8% (dont alévis 20%) |
Yémen | 26 | 100% (dont zaydisme entre 25 et 40%) |
Source : Revue Moyen-Orient, “Bilan géostratégique 2014”, Juillet-Septembre 2014, Paris.
L’islam ne se résume pas aux deux grands courants connus, le sunnisme et le chiisme. Ces confessions connaissent des divergences de croyances en leur sein. Le sunnisme, courant majoritaire, se divise en plusieurs écoles juridiques interprétant de diverses façons le Coran et la sunna (ou tradition, comportement du Prophète) enregistrée dans les hadiths.
Le chiisme est né de la « grande discorde » du premier siècle islamique, liée à la succession à Mahomet au titre de calife. Les trois groupes chiites existants toujours aujourd’hui (zaydite, duodécimain et ismaélien) sont issus des allégeances aux différents imams ayant succédé à Ali.
Un troisième courant nommé kharidjisme est également né au moment de la « grande discorde ». Si les kharidjites ont aujourd’hui disparu, les ibadites en sont leurs héritiers (bien que certains d’entre eux s’en défendent). Ils subsistent à Oman, à Djerba en Tunisie, en Libye à Zuwarâ et Djebel Nafusa, en Algérie à Mzâb et en Tanzanie à Zanzibar.
Enfin, de multiples confréries soufies se sont développées dans toute la région. Le soufisme est le penchant mystique de l’islam, souvent méconnu en France. Les soufis cherchent l’accès direct à la divinité d’Allah à travers des pratiques particulières dont le dhikr (répétition du nom de Dieu), la musique et la danse parfois, et la méditation. Ils s’appuient sur une théorie des hommes et du divin développée par les théologiens soufis au cours des siècles. Les confréries soufies sont nombreuses, et constituent toujours une réelle influence dans certains pays, notamment en Egypte.
Cette richesse cultuelle s’exprime par la présence de nombreux lieux saints et sanctuaires musulmans, chrétiens et juifs. Au-delà des villes saintes de Jérusalem, de Médine et de La Mecque, diverses villes attirent chaque année des milliers de pèlerins. Les sunnites les plus rigoristes interdisent le culte des saints. La mosquée n’est pas sacralisée comme l’est l’église. Les chiites toutefois célèbrent de nombreux saints, et la plupart des sunnites ressentent le besoin de « localiser le sacré, de l’inscrire dans l’espace, au travers de rites », selon les propos de Dominique Logna-Prat et de Gilles Veinstein, qui poursuivent : « Il existe ainsi des lieux [de culte des saints], généralement des sépultures, dotées de mausolées, et, le cas échéant, d’un complexe de bâtiments, dont des mosquées, que sanctifie la présence des restes d’un saint et à travers lesquels se diffuse sa baraka » (6) (Influence bénéfique qu’exercent certains personnages révérés de l’islam, ou certains objets sacrés, Larousse). Ces lieux saints et sanctuaires constituent des éléments centraux de la vie du musulman et les plus importants d’entre eux nécessitent d’apparaître sur une carte générale des religions de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, puisqu’ils génèrent d’importants flux de population.
Lire sur Les clés du Moyen-Orient :
Hichem Djaït, La Grande Discorde, Religion et politique dans l’Islam des origines
Sunnites/chiites : aux origines du grand schisme de l’Islam
Notes :
(1) DUPONT Anne-Laure, Atlas de l’islam. Lieux, pratiques et idéologie, Autrement, 2014, Paris.
(2) Ibid.
(3) Revue Moyen-Orient n°23, “Bilan géostratégique 2014”, Juillet-Septembre 2014, Paris
(4) http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/12/18/les-chretiens-sont-le-premier-groupe-religieux-au-monde_1807767_3224.html#VTY0lHpcA3iuy91U.99
(5) LORIEUX Claude, Chrétiens d’Orient en terres d’Islam, Perrin, 2001, Paris.
(6) « Lieux de culte, lieux saints dans le judaïsme, le christianisme et l’islam : Présentation ».
Bibliographie :
DUPONT Anne-Laure, Atlas de l’islam. Lieux, pratiques et idéologie, Autrement, 2014, Paris.
HOURANI Albert, Histoire des peuples arabes, Seuil, 1991 (traduction française en 1993), Londres.
HANIF, N, Biographical Encyclopaedia of Sufis : Central Asia and Middle East, Sarup & Sons, 2002.
SELLIER André, SELLIER Jean, Atlas des peuples d’orient. Moyen-Orient, Caucase, Asie centrale, La Découverte, 2002, Paris.
Revue Moyen-Orient n°23, “Bilan géostratégique 2014”, Juillet-Septembre 2014, Paris.
BALANCHE Fabrice, Atlas du Proche-Orient arabe, PUPS/RFI, 2012.
LORIEUX Claude, Chrétiens d’Orient en terres d’Islam, Perrin, 2001, Paris.
Sitographie :
Le dessous des cartes, « L’islam en conflit », Parties 1 et 2, Arte, Janvier 2015.
Encyclopédie Larousse en ligne
Encyclopedia Universalis
http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/les-ahmadis-musulmans-malgre-les-autres-05-02-2015-4492_118.php
http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/12/18/les-chretiens-sont-le-premier-groupe-religieux-au-monde_1807767_3224.html#VTY0lHpcA3iuy91U.99
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Adonis |
Je pense que personne n’a marqué de réticence à défendre ou soutenir les mouvements arabes pour le changement. (…) Néanmoins, ce que je reproche à ces mouvements, c’est l’absence de projet, préalable à tout véritable changement, non pas seulement un renversement du pouvoir, mais une mutation de la société tout entière, de ses idées et de sa culture. Or nous avons constaté que cet éclatement, ce bouleversement, ne s’était structuré autour d’aucun discours culturel novateur, et que son caractère général était religieux. Nous avons également remarqué que son projet politique misait sur le retour inéluctable à des principes abandonnés, et qui sont, d’une manière ou d’une autre, des principes religieux.
Si nous excluons Le Caire et Tunis, il ne s’est pas déclenché de véritable mouvement populaire et organique, dans le sens d’un bouleversement résultant de causes internes. Les éclatements qui ont suivi étaient plus d’ordre externe qu’interne. Notons par ailleurs la transformation de ces mouvements en factions armées et violentes, ouvrant la brèche à l’intrusion d’éléments extérieurs, de mercenaires venus occuper le terrain. L’observation de ces détails est importante, si nous voulons établir leur relation avec l’histoire arabe. En résumé, le motif sous-jacent de ce bouleversement était le seul pouvoir, son but étant de changer le régime, sans porter aucun projet global. Or, tout au long de l’histoire des révolutions, nul n’a jamais été témoin d’un projet de libération survenant de l’extérieur ; les mouvements arabes sont donc basés sur le suivisme, d’une manière ou d’une autre. Et aujourd’hui, les pays arabes semblent être plus que jamais dépendants de l’extérieur.
(…) Si nous examinons l’histoire arabe et les textes religieux, le texte coranique en particulier, nous constatons que la conception islamique de l’homme et du monde, comme elle a prévalu et telle qu’elle s’est institutionnalisée, est fondée sur quelques éléments immuables : en premier lieu, Mohammed est le Prophète ultime, nul autre ne viendra après lui ; en second lieu, les faits et principes véhiculés par la prophétie mahométane, dans tout ce qui se rapporte au religieux et au spirituel, mais aussi les valeurs qui en découlent, c’est-à-dire la morale et l’éthique, sont des vérités immuables qui ne peuvent être contestées ; enfin, l’islam abolit ce qui le précède, et abolit donc obligatoirement ce qui le suit. Ainsi, l’individu ne peut s’arroger le droit d’amender, de modifier, d’ajouter ou de supprimer, et sa liberté se limite à obéir et à exécuter. Ce qui signifie que l’individu existe dans un monde clos, qui n’éprouve pas la nécessité d’une évolution. (…) Le temps, dans cette vision, n’inclut pas l’avenir, il ne consiste qu’en une perpétuelle pratique d’ancrage dans les racines qui sont à l’origine de notre formation intellectuelle et spirituelle. Par conséquent, nous ne pouvons déchiffrer aucune notion de progrès dans l’ensemble de l’histoire islamique. La liberté n’existe pas dans cette vision du monde, le concept même de liberté lui est étranger ; la liberté de l’individu se réduit à sa liberté d’être un musulman et de pratiquer l’islam, et précisément l’islam qui a toujours prévalu.
(…) L’important, ce sont les aboutissements des révolutions et non leurs commencements. Bien sûr, il existe des exceptions. Mais en Syrie, par exemple, un tiers de la population a émigré. Et quand un peuple persiste à s’expatrier, on ne peut continuer à le définir comme un peuple révolutionnaire. Ce peuple dont on parle et qu’on espère voir se révolter, ce n’est pas lui qui s’est révolté. La Syrie en est la preuve flagrante. Et pourtant nous sommes tous, moi-même tout autant et plus que tous, pour le changement des régimes. Mais nous devons comprendre ce qui se passe. En peu de mots, je peux affirmer que ce ne sont pas du tout les régimes qui ont été pris pour cible. Ils n’ont été qu’un prétexte, puisque l’objectif principal était de détruire le pays par l’intermédiaire des puissances étrangères. Ce qui se trame en Syrie s’est déjà produit ailleurs, avec la destruction du régime irakien, ou celle du régime libyen. Comment la conjonction des forces réactionnaires et des puissances étrangères pourraient-elles mener une révolution ? Y a-t-il jamais eu dans le monde, à quelque période de l’histoire que ce soit, une révolution qui ait été menée par des réactionnaires et des agents au service de l’étranger ?
(…) La politique américaine n’a nulle part démontré qu’elle avait soutenu des peuples réduits à l’impuissance, ou dont le destin avait été hypothéqué, pour les affranchir ou les aider à s’affranchir. L’Amérique reste le premier pays à avoir utilisé la bombe atomique contre des êtres humains. Et le système américain lui-même n’a-t-il pas été établi sur l’extermination de tout un peuple : les Amérindiens ? Et pourtant, les « rebelles » arabes sont épris de l’Amérique. Ce qui se passe dans le monde arabe est absurde. En Libye par exemple, et même si nous tous étions pour la chute de Kadhafi, qu’est-ce qui justifie la destruction d’un pays tout entier ? Il en va de même pour l’Irak et la Syrie. Quelle est cette révolution qui prend pour ennemi une statue, un musée, ou une ethnie comme les Yézidis, cherchant à l’exterminer ?
Aujourd’hui, dans la tourmente de la révolution, elle qui devrait s’ouvrir tel un champ de liberté et résonner comme un hymne à la libération des peuples, nous découvrons que le penseur est plus exposé au danger qu’il ne l’était du temps de la tyrannie. Comment cela est-il possible ? Si l’être qui pense n’est pas libre de se mouvoir, de clamer son opinion ou de transmettre sa pensée en période de révolution, comment serons-nous encore capables de penser ?
Michel Ayoub est « messaharati« : il perpétue à Acre, dans le nord d’Israël, la tradition qui consiste pendant le mois sacré de jeûne à réveiller les musulmans pour une collation avant le lever du soleil.
Mais Michel Ayoub n’est pas un « messaharati » comme les autres: il est catholique.
Revêtu d’une tenue traditionnelle levantine, Michel Ayoub rompt de sa voix ample et du battement de son tambourin le silence des venelles séculaires, décorées des lumières du ramadan. Sur son passage, les fenêtres s’allument les unes après les autres.
Des habitants somnolents passent la tête par la croisée pour le saluer et lui signaler qu’ils ont bien entendu l’appel et vont préparer le « souhour« , le repas d’avant l’aube pendant le ramadan. Durant les 29 ou 30 jours que dure le jeûne, les musulmans ne peuvent ni manger ni boire du lever au coucher du soleil.
La tradition du « messaharati« , toujours largement observée dans le monde musulman, avait disparu à Acre et c’est Michel qui, il y a 13 ans, a eu l’idée de faire vibrer de nouveau le tambourin dans la Vieille ville. C’était sa façon à lui d’entretenir l’héritage transmis par son grand-père.
– ‘Une même famille’ –
Ce fervent catholique écoutait, dit-il, « la lecture du Coran tous les vendredis » au moment de la grande prière musulmane. La coexistence, le respect et la connaissance des autres religions, « on a grandi avec« , poursuit-il.
Acre est légataire de siècles d’histoire. Habitée sans discontinuer depuis l’époque phénicienne, elle fut au Moyen Âge le principal port du royaume croisé de Jérusalem, puis une importante citadelle ottomane. La Vieille ville fortifiée, avec ses remparts, ses mosquées, ses bains, est inscrite au patrimoine mondial de l’humanité.
La population d’environ 50.000 âmes comprend des juifs, des musulmans, des chrétiens et des bahaïs. Près du tiers des habitants sont Arabes, dans leur majorité musulmans.
Michel Ayoub affirme « ne faire que son devoir en aidant nos frères musulmans qui s’infligent la faim et soif » pendant le ramadan.
« Nous sommes une même famille. Il n’y a qu’un seul Dieu et il n’y a pas de différence entre les chrétiens et les musulmans« , dit ce descendant de Palestiniens restés sur leur terre à la création d’Israël en 1948. Aujourd’hui, ces chrétiens et musulmans qui sont citoyens israéliens mais se présentent généralement comme Palestiniens, sont 1,4 million et représentent 17,5% de la population d’Israël.
Sabra Aker a « grandi avec les réveils de Michel Ayoub pendant le ramadan« . « Si un jour il ne vient plus, on est perdu« , avoue cette jeune fille de 19 ans depuis la fenêtre de sa maison.
Au beau milieu de la nuit, Safia Sawaïd, 36 ans, sort pour se prendre en photo avec ses fillettes et Michel Ayoub dans son costume. « C’est impressionant de voir quelqu’un d’aussi attaché à notre culture et à nos traditions, j’espère qu’il continuera à venir tous les ans« , dit-elle.
Pour perpétuer la coutume, Michel Ayoub a pris sous son aile Ahmed al-Rihaoui, 12 ans, qui l’accompagne dans ses tournées nocturnes, seroual et gilet noirs sur une chemise d’un blanc éclatant assorti à son turban. « C’est un messaharati prometteur, il est très doué« , assure Michel Ayoub.