Nous publions ci-joint l’hommage qui lui est rendu par Samir Abdulac.*
En 1963, Khaled al Assaad était nommé directeur des antiquités de Palmyre. Il n’avait que 29 ans et c’était aussi sa première prise de responsabilité. Le directeur général des antiquités et des musées de Syrie à l’époque tenait à nommer dans les provinces du pays des personnes qui en étaient issues, faisant le pari qu’elles sauraient plus que d’autres s’y investir et inscrire leurs actions dans la durée. C’était un pari qui avait déjà été gagné par exemple à Bosra avec Faysal Moqdad.
Khaled al Assaad aura non seulement accompli toute sa carrière à Palmyre, mais il y aura poursuivi ensuite ses activité pendant plus d’une quinzaine d’années après sa prise de retraite. Il développera ses talents d’archéologue au contact des missions scientifiques étrangères qui se succéderont au fil des années à Palmyre. Elles seront américaine, austro-allemande, française, italienne, japonaise, norvégienne, polonaise, suisse et bien entendu syriennes. De plus il apprendra le palmyrénien et il en deviendra expert. Rien d’important ne se sera déroulé à Palmyre en 50 ans sans qu’il n’y ait participé d’une manière ou d’une autre. Il était également là pour recevoir les hommes d’état étrangers en visite. Il participait également à la vie de la cité moderne de Palmyre comme de nombreux membres de sa famille.
J’ai personnellement rencontré Khaled al Assaad un jour d’hiver 1993. J’étais accompagné d’une autre consultante de l’UNESCO et du regretté Nassib Saliby. La question posée était celle de la protection des colonnes du site qui semblaient s’effriter avec le vent. La réponse était que l’effritement se situait à une hauteur régulière, celle d’où émergeaient les colonnes qui étaient autrefois partiellement enterrées. Le coupable avait été l’humidité du sol et non les vents de sable. Nous avions été lui rendre visite à travers les salles froides du musée archéologique. Nous étions passés par un couloir sombre avant d’arriver dans son bureau encombré de livres et de papiers. Nous avions ensuite déjeuné dans un petit restaurant en face et avions notamment parlé de l’inauguration du musée en 1961. Nous étions bien d’accord sur la date précise, à un jour près. Khaled al Assaad m’avait dédicacé l’un de ses ouvrage et je ne crois pas que nous nous soyons revus depuis.
Khaled al Assaad se sentait appartenir entièrement à Palmyre. Peut-être est-ce pour cela qu’il a refusé d’entendre les appels pressants pour la quitter en mai 2015 devant l’avance des troupes de Daech. On se demandera longtemps encore quelles étaient les
calculs tortueux des bourreaux de Daech quant ils l’ont assassiné aussi cruellement. Mettre à mort un « directeur des idoles », « un participants à des congrès aux côtés des infidèles » était-il sensé renforcer la popularité des nouveaux maîtres de Palmyre ? Fallait-il le punir de ne pas avoir divulgué l’emplacement d’une invraisemblable cachette d’or ? On peut au contraire se demander si son exécution juste avant le dynamitage des temples de Baalshamin puis de Bel, avant la destruction des tour funéraires, ne visait pas plutôt à plonger la population de Palmyre dans la terreur et l’empêcher de réagir.
L’assassinat de Khaled al Assaad a provoqué une énorme émotion au niveau international, que ce soit dans les milieux scientifiques ou dans le grand public. On ne compte plus le nombre d’articles qui ont été écrit sur lui à travers le monde. Pour lui des drapeaux ont été mis en berne en Italie. Dans les cercles professionnels, comme au sein de l’ICOMOS, les propositions se multiplient quant à la meilleure manière d’honorer sa mémoire.
Est-ce dû au respect de l’âge ou à la reconnaissance du savoir ? D’autres victimes de Daech n’ont pas bénéficié de cette triste célébrité, comme Abdallah al Humaid, gardien d’un site sur les bords de l’Euphrate, égorgé pour être resté sur son lieu de travail, ou l’avocate Samira al Nuaimi, torturée puis exécutée à Mossoul pour avoir critiqué les destructions des monuments de sa ville. Le courage de ces femmes et de ces hommes de devoir met en tout cas en lumière l’engagement de ceux qui en Syrie et dans la région restent œuvrer jusqu’au bout à la sauvegarde du patrimoine culturel pour les générations actuelles et à venir. Le dévouement et l’esprit de sacrifice des agents de la direction générale des antiquités et des musées de Syrie ne sont plus à démontrer.
La triste besogne de Daech visait-elle à couper les palmyréniens de plusieurs millénaires d’histoire et de gloire ? Voulait-elle empêcher les palmyréniens d’aujourd’hui et de demain de bénéficier de leurs échanges traditionnels et du tourisme ?
La barbarie de Daech aura en tout cas fait de Khaled al Assaad le palmyrénien le plus célèbre après Zénobie et Odeinat. C’est une mince consolation certes, mais les membres de la famille al Assaad pourront partout porter son nom la tête haute.
*Samir ABDULAC
Docteur en urbanisme, Architecte DPLG
Président, Groupe de travail de l’ICOMOS pour la sauvegarde du patrimoine culturel en Syrie et en Irak Vice-président, Comité scientifique international des villes et villages historiques de l’ICOMOS